Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/110

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faites, qui désespérez les mourants au lieu de les consoler.

— Écoute, continua l’abbé : quand tu as eu trahi ton ami, Dieu a commencé, non pas de te frapper, mais de l’avertir ; tu es tombé dans la misère et tu as eu faim ; tu avais passé à envier la moitié d’une vie que tu pouvais passer à acquérir, et déjà tu songeais au crime en te donnant à toi-même l’excuse de la nécessité, quand Dieu fit pour toi un miracle quand Dieu, par mes mains, t’envoya au sein de ta misère une fortune, brillante pour toi, malheureux, qui n’avais jamais rien possédé. Mais cette fortune inattendue, inespérée, inouïe, ne te suffit plus du moment où tu la possèdes ; tu veux la doubler : par quel moyen ? par un meurtre. Tu la doubles, et alors Dieu te l’arrache en te conduisant devant la justice humaine.

— Ce n’est pas moi, dit Caderousse, qui ai voulu tuer le juif, c’est la Carconte.

— Oui, dit Monte-Cristo. Aussi Dieu toujours, je ne dirai pas juste cette fois, car sa justice t’eût donné la mort, mais Dieu, toujours miséricordieux, permit que tes juges fussent touchés à tes paroles et te laissassent la vie.

— Pardieu ! pour m’envoyer au bagne à perpétuité : la belle grâce !

— Cette grâce, misérable ! tu la regardas cependant comme une grâce quand elle te fut faite ; ton lâche cœur, qui tremblait devant la mort, bondit de joie à l’annonce d’une honte perpétuelle, car tu t’es dit, comme tous les forçats : « Il y a une porte au bagne, il n’y en a pas à la tombe. » Et tu avais raison, car cette porte du bagne s’est ouverte pour toi d’une manière inespérée : un Anglais visite Toulon, il avait fait le vœu de tirer deux hommes de l’infamie, son choix tombe sur toi et sur ton compagnon ;