Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/157

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Morcerf pour être le même que l’officier Fernand Mondego ?

— Si je le reconnais ! s’écria Haydée. Oh ! ma mère ! tu m’as dit : Tu étais libre, tu avais un père que tu aimais, tu étais destinée à être presque une reine ! Regarde bien cet homme, c’est lui qui t’a faite esclave, c’est lui qui a levé au bout d’une pique la tête de ton père, c’est lui qui nous a vendues, c’est lui qui nous a livrées ! Regarde bien sa main droite, celle qui a une large cicatrice ; si tu oubliais son visage, tu le reconnaîtrais à cette main dans laquelle sont tombées une à une les pièces d’or du marchand El-Kobbir ! Si je le reconnais ! Oh ! qu’il dise maintenant lui-même s’il ne me reconnaît pas.

Chaque mot tombait comme un coutelas sur Morcerf et retranchait une parcelle de son énergie ; aux derniers mots, il cacha vivement et malgré lui sa main, mutilée en effet par une blessure, dans sa poitrine, et retomba sur son fauteuil, abîmé dans un morne désespoir.

Cette scène avait fait tourbillonner les esprits de l’assemblée, comme on voit courir les feuilles détachées du tronc sous le vent puissant du nord.

— Monsieur le comte de Morcerf, dit le président, ne vous laissez pas abattre, répondez : la justice de la cour est suprême et égale pour tous comme celle de Dieu ; elle ne vous laissera pas écraser par vos ennemis sans vous donner les moyens de les combattre. Voulez-vous des enquêtes nouvelles ? voulez-vous que j’ordonne un voyage de deux membres de la Chambre à Janina ? Parlez !

Morcerf ne répondit rien.

Alors, tous les membres de la commission se regardèrent avec une sorte de terreur. On connaissait le caractère énergique et violent du comte. Il fallait une bien terrible prostration pour annihiler la défense de cet homme ; il fallait enfin penser qu’à ce silence, qui