Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/230

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te le rappelles ? car, malgré tous mes chagrins, toutes mes tortures, je te montre aujourd’hui un visage que le bonheur de la vengeance rajeunit, un visage que tu dois avoir vu bien souvent dans tes rêves depuis ton mariage… avec Mercédès, ma fiancée !

Le général, la tête renversée en arrière, les mains étendues, le regard fixe, dévora en silence ce terrible spectacle ; puis, allant chercher la muraille comme point d’appui, il s’y glissa lentement jusqu’à la porte par laquelle il sortit à reculons, en laissant échapper ce seul cri lugubre, lamentable, déchirant :

— Edmond Dantès !

Puis, avec des soupirs qui n’avaient rien d’humain, il se traîna jusqu’au péristyle de la maison, traversa la cour en homme ivre, et tomba dans les bras de son valet de chambre en murmurant seulement d’une voix inintelligible :

— À l’hôtel ! à l’hôtel !

En chemin, l’air frais et la honte que lui causait l’attention de ses gens le remirent en état d’assembler ses idées ; mais le trajet fut court, et, à mesure qu’il se rapprochait de chez lui, le comte sentait se renouveler toutes ses douleurs.

À quelques pas de la maison, le comte fit arrêter et descendit. La porte de l’hôtel était toute grande ouverte ; un fiacre, tout surpris d’être appelé dans cette magnifique demeure, stationnait au milieu de la cour ; le comte regarda ce fiacre avec effroi, mais sans oser interroger personne, et s’élança dans son appartement.

Deux personnes descendaient l’escalier ; il n’eut que le temps de se jeter dans un cabinet pour les éviter.

C’était Mercédès, appuyée au bras de son fils, qui tous deux quittaient l’hôtel.