Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/292

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— Tu vas t’habiller ici ?

— Sans doute.

— Mais auras-tu le temps ?

— N’aie donc pas la moindre inquiétude, poltronne, tous nos gens sont occupés de la grande affaire. D’ailleurs, qu’y a-t-il d’étonnant, quand on songe au désespoir dans lequel je dois être, que je me sois enfermée, dis ?

— Non, c’est vrai, tu me rassures.

— Viens, aide-moi.

Et du même tiroir dont elle avait fait sortir la mante qu’elle venait de donner à mademoiselle d’Armilly et dont celle-ci avait déjà couvert ses épaules, elle tira un costume d’homme complet, depuis les bottines jusqu’à la redingote, avec une provision de linge où il n’y avait rien de superflu, mais où se trouvait le nécessaire.

Alors, avec une promptitude qui indiquait que ce n’était pas sans doute la première fois qu’en se jouant elle avait revêtu les habits d’un autre sexe, Eugénie chaussa ses bottines, passa un pantalon, chiffonna sa cravate, boutonna jusqu’à son cou un gilet montant, et endossa une redingote qui dessinait sa taille fine et cambrée.

— Oh ! c’est très bien ! en vérité, c’est très bien, dit Louise en la regardant avec admiration ; mais ces beaux cheveux noirs, ces nattes magnifiques qui faisaient soupirer d’envie toutes les femmes, tiendront-ils sous un chapeau d’homme comme celui que j’aperçois là ?

— Tu vas voir, dit Eugénie.

Et saisissant avec sa main gauche la tresse épaisse sur laquelle ses longs doigts ne se refermaient qu’à peine, elle saisit de sa main droite une paire de longs ciseaux, et bientôt l’acier cria au milieu de la riche et splendide chevelure, qui tomba tout entière aux pieds de la jeune fille, renversée en arrière pour l’isoler de sa redingote.