Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/88

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Le premier mouvement du comte fut de croire à une ruse de voleurs, piège grossier qui lui signalait un danger médiocre pour l’exposer à un danger plus grave. Il allait donc faire porter la lettre à un commissaire de police, malgré la recommandation, et peut-être même à cause de la recommandation de l’ami anonyme, quand tout à coup l’idée lui vint que ce pouvait être, en effet, quelque ennemi particulier à lui, que lui seul pouvait reconnaître et dont, le cas échéant, lui seul pouvait tirer parti, comme avait fait Fiesque du Maure qui avait voulu l’assassiner. On connaît le comte ; nous n’avons donc pas besoin de dire que c’était un esprit plein d’audace et de vigueur, qui se roidissait contre l’impossible avec cette énergie qui fait seule les hommes supérieurs. Par la vie qu’il avait menée, par la décision qu’il avait prise et qu’il avait tenue de ne reculer devant rien, le comte en était venu à savourer des jouissances inconnues dans les luttes qu’il entreprenait parfois contre la nature, qui est Dieu, et contre le monde, qui peut bien passer pour le diable.

— Ils ne veulent pas me voler mes papiers, dit Monte-Cristo, ils veulent me tuer ; ce ne sont pas des voleurs, ce sont des assassins. Je ne veux pas que M. le préfet de police se mêle de mes affaires particulières. Je suis assez riche, ma foi, pour dégrever en ceci le budget de son administration.

Le comte rappela Baptistin, qui était sorti de la chambre après avoir apporté la lettre.

— Vous allez retourner à Paris, dit-il, vous ramènerez ici tous les domestiques qui restent. J’ai besoin de tout mon monde à Auteuil.

— Mais ne restera-t-il donc personne à la maison, monsieur le comte ? demanda Baptistin.