Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/144

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attiré vers la porte qui s’ouvre pour appeler quelqu’un des habitants de ce lugubre séjour, ou pour vomir dans le gouffre une nouvelle scorie rejetée du creuset de la société.

La cour Saint-Bernard a son parloir particulier ; c’est un carré long, divisé en deux parties par deux grilles parallèlement plantées à trois pieds l’une de l’autre, de façon à ce que le visiteur ne puisse serrer la main du prisonnier ou lui passer quelque chose. Ce parloir est sombre, humide, et de tout point horrible, surtout lorsqu’on songe aux épouvantables confidences qui ont glissé sur ces grilles et rouillé le fer des barreaux.

Cependant ce lieu, tout affreux qu’il soit, est le paradis où viennent se retremper dans une société espérée, savourée, ces hommes dont les jours sont comptés : il est si rare qu’on sorte de la Fosse-aux-Lions pour aller autre part qu’à la barrière Saint-Jacques, au bagne ou au cabanon cellulaire !

Dans cette cour que nous venons de décrire, et qui suait d’une froide humidité, se promenait, les mains dans les poches de son habit, un jeune homme considéré avec beaucoup de curiosité par les habitants de la Fosse.

Il eût passé pour un homme élégant, grâce à la coupe de ses habits, si ces habits n’eussent été en lambeaux ; cependant ils n’avaient pas été usés : le drap, fin et soyeux aux endroits intacts, reprenait facilement son lustre sous la main caressante du prisonnier, qui essayait d’en faire un habit neuf.

Il appliquait le même soin à fermer une chemise de batiste considérablement changée de couleur depuis son entrée en prison, et sur ses bottes vernies passait le coin d’un mouchoir brodé d’initiales surmontées d’une couronne héraldique.