Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/163

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— Au juge, madame ! au juge !

C’était un spectacle effrayant que la pâleur de cette femme, l’angoisse de son regard, le tremblement de tout son corps.

— Ah ! monsieur ! murmura-t-elle, ah ! monsieur ! … et ce fut tout.

— Vous ne répondez pas, madame ! s’écria le terrible interrogateur. Puis il ajouta, avec un sourire plus effrayant encore que sa colère :

— Il est vrai que vous ne niez pas !

Elle fit un mouvement.

— Et vous ne pourriez nier, ajouta Villefort, en étendant la main vers elle comme pour la saisir au nom de la justice ; vous avez accompli ces différents crimes avec une impudente adresse, mais qui cependant ne pouvait tromper que les gens disposés par leur affection à s’aveugler sur votre compte. Dès la mort de madame de Saint-Méran, j’ai su qu’il existait un empoisonneur dans ma maison : M. d’Avrigny m’en avait prévenu ; après la mort de Barrois, Dieu me pardonne ! mes soupçons se sont portés sur quelqu’un, sur un ange ! mes soupçons qui, même là où il n’y a pas de crime, veillent sans cesse allumés au fond de mon cœur ; mais après la mort de Valentine il n’y a plus eu de doute pour moi, madame, et non seulement pour moi, mais encore pour d’autres ; ainsi votre crime, connu de deux personnes maintenant, soupçonné par plusieurs, va devenir public ; et, comme je vous le disais tout à l’heure, madame, ce n’est plus un mari qui vous parle, c’est un juge !

La jeune femme cacha son visage dans ses deux mains.

— Ô monsieur ! balbutia-t-elle, je vous en supplie, ne croyez pas les apparences !

— Seriez-vous lâche ? s’écria Villefort d’une voix mé-