Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/104

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Mais, à cette charmante vision, Thibault répondait par un mouvement de tête et d’épaules qui voulait dire :

— Oui, oui, l’Agnelette, je te reconnais bien, c’est toi. Mais c’était bon pour hier, de te suivre ; aujourd’hui que, comme un roi, j’ordonne à la vie et à la mort, je ne suis pas un homme à faire de déraisonnables concessions à un amour né de la veille et balbutiant à peine son premier mot. Devenir ton mari, ma pauvre Agnelette, au lieu de nous affranchir des dures nécessités de la vie, ne serait-ce pas un moyen de doubler et tripler le fardeau sous lequel nous succombons chacun de notre côté ? Non ! l’Agnelette, non ! Vous feriez une charmante maîtresse ; mais, pour femme, il faut quelqu’un qui apporte en écus dans le ménage l’équivalent de ce que j’y apporte en pouvoir.

Sa conscience lui disait bien qu’il y avait engagement pris entre lui et l’Agnelette. Mais il se répondait que, s’il rompait l’engagement, c’était pour le bien de la douce créature.

– Je suis honnête homme, murmurait-il tout bas, et je dois immoler mes satisfactions personnelles au bonheur de la chère enfant. D’ailleurs, elle est assez jeune, assez jolie et assez sage, pour trouver un sort bien meilleur que celui qui l’attendrait quand elle serait la femme d’un simple sabotier.

La conclusion de toutes ces belles réflexions fut pour Thibault qu’il fallait laisser emporter à la brise les ridicules promesses de la veille et oublier des fiançailles qui n’avaient eu pour témoins que les feuilles tremblotantes des bouleaux et les fleurs roses des bruyères.

D’ailleurs, il y avait au moulin de Coyolles une belle meunière dont l’image n’était pas tout à fait étrangère au nouveau parti que prenait Thibault.

C’était une jeune veuve de vingt-six à vingt-huit ans, fraîche et dodue, aux yeux malins et agaçants.