Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/124

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Rien de tout cela n’échappa à Thibault.

– Par la rate-Dieu ! murmura-t-il (c’était un juron qu’il avait entendu dire au prince Jean, et, maintenant qu’il était l’ami du diable, il croyait pouvoir parler la langue des grands seigneurs) ; par la rate-Dieu ! est-ce qu’elle serait décidément amoureuse du garçonnet ? Ce serait une preuve de bien mauvais goût, sans compter que cela ne ferait pas le moins du monde mon affaire. Non, non, ce qu’il vous faut, ma belle meunière, c’est un gaillard qui puisse facilement diriger les affaires du moulin, et ce gaillard, ce sera moi, ou le loup noir y perdra son latin.

Puis, remarquant presque immédiatement que la meunière avait repris les anciennes traditions d’yeux en coulisse et de sourires que Landry lui avait signalées :

– Allons, continua-t-il, je vois qu’il va falloir en venir aux grands moyens, car il est impossible que je la laisse échapper ; c’est dans tout le pays le seul parti qui me convienne. Oui, mais aussi que faire du cousin Landry ? Son amour dérange mes projets ; mais, en vérité, je ne puis réellement pour si peu l’envoyer rejoindre dans l’autre monde le pauvre Marcotte. Ah ! par ma foi, je suis bien bon de me détraquer le cerveau à chercher une invention ! Cela ne me regarde pas ; cela regarde le loup noir.

Puis, tout bas :

– Loup noir, dit-il, arrange-toi de manière, mon ami, à ce que, sans qu’il lui arrive accident ni malheur, je sois débarrassé de mon cousin Landry.

Il n’avait pas achevé cette prière, qu’il aperçut, descendant de la montagne et se dirigeant vers le moulin, une petite troupe de quatre ou cinq hommes vêtus de costumes militaires. Landry les aperçut aussi ; car il jeta un grand cri, se leva pour fuir, mais retomba sur sa chaise, comme si les forces lui manquaient.