Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/249

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mouillé d’eau glacée. Puis il versa dans un verre d’eau quelques gouttes d’une liqueur calmante, recommandant au prêtre d’en faire avaler une cuillerée au malade toutes les fois que celui-ci demanderait à boire.

Ces précautions prises, le docteur se retira en disant qu’il reviendrait le lendemain, mais qu’il avait bien peur de faire une course inutile.

Thibault eût bien voulu mêler un mot à la conversation et dire à son tour ce qu’il pensait de lui-même ; mais son esprit était comme en prison dans ce corps mourant et subissait malgré lui l’influence du cachot dans lequel il était enfermé.

Cependant il entendait le prêtre qui lui parlait, qui le secouait, qui essayait de le tirer de l’espèce de léthargie dans laquelle il était plongé. Cela le fatiguait fort.

Il fut bien heureux pour le digne curé que Thibault, n’étant plus Thibault, eût perdu son pouvoir fantastique, car plus de dix fois, dans le fond de sa pensée, le blessé l’envoya à tous les diables.

Bientôt il lui sembla qu’on lui glissait sous les pieds, sous les reins, sous la tête, un espèce de brasier ardent.

Son sang commença à s’agiter, puis se mit à bouillir comme de l’eau sur le feu.

Il sentit toutes ses idées qui se brouillaient.

Ses mâchoires fermées s’ouvrirent ; sa langue, nouée, se délia ; quelques mots sans suite lui échappèrent.

– Ah ! ah ! ah ! dit-il, voilà probablement ce que le brave docteur appelle délire.

Ce fut, pour le moment du moins, sa dernière idée lucide. Toute sa vie – et, en réalité, sa vie n’existait que depuis l’apparition du loup noir, – toute sa vie repassa devant lui.

Il se vit poursuivant et manquant le chevreuil.