Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/303

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glissait dans la nuit, comme un chien qui rejoint son maître.

Il eût été presque invisible dans l’obscurité sans ses yeux, qui jetaient des flammes et l’éclairaient.

Il tourna autour du foyer et vint s’asseoir en face du sabotier.

– Eh quoi ! dit-il, maître Thibault n’est pas content ? Par les cornes de Belzébuth ! maître Thibault est difficile !

– Puis-je être content, dit Thibault, moi qui, depuis que je t’ai rencontré, n’ai connu que les vaines aspirations et les regrets superflus ?

» J’ai voulu la richesse, et je me désespère d’avoir perdu le toit de fougère à l’abri duquel je m’endormais sans m’inquiéter du lendemain, sans me soucier du vent et de la pluie qui fouettaient les branches des grands chênes.

» J’ai désiré les grandeurs, et les derniers paysans de la plaine, que je méprisais autrefois, me chassent aujourd’hui devant eux à coups de pierres.

» J’ai demandé l’amour, et la seule femme qui m’ait aimé et que j’aime m’a échappé pour appartenir à un autre, et elle meurt à cette heure en me maudissant, sans qu’avec tout le pouvoir que tu m’as donné, je puisse rien faire pour la secourir !

– N’aime que toi-même, Thibault.

– Oh ! oui, raille !

– Je ne raille pas. Avant que je me présentasse à tes yeux, n’avais-tu pas déjà jeté sur le bien d’autrui un regard de convoitise ?

– Oh ! pour un misérable daim comme il y en a des centaines qui broutent l’herbe de cette forêt !

– Tu croyais ne souhaiter que le daim, Thibault ; mais les souhaits s’enchaînent les uns aux autres comme les nuits aux jours et les jours aux nuits.