Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/94

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Thibault suspendit son travail pour écouter chiens et trompe.

– Cours, mon beau seigneur, dit-il, cours après ton loup ! Ce n’est pas de celui-là, je t’en réponds, que tu cloueras la patte à la porte de ton château. Ventre-gai ! la bonne aubaine ! me voilà devenu presque fée, et, tandis que tu ne te doutes de rien, mon honnête bailleur d’étrivières, il ne tient qu’à moi de jeter un sort sur ta tête et de me venger grassement de toi.

Thibault, à cette pensée, s’arrêta court.

– Tiens, au fait, dit-il, si je me vengeais de ce damné baron et de maître Marcotte ? Bah ! pour un cheveu, je puis bien me passer cette fantaisie.

Thibault passa sa main dans son épaisse et soyeuse crinière, fournie et riche comme celle d’un lion.

– Bon ! dit-il, j’en ai de reste à perdre, des cheveux ; va donc pour un cheveu ! D’ailleurs, c’est un moyen de m’assurer que mon compère le diable ne s’est pas gaussé de moi. Donc, je désire un bon accident pour le seigneur Jean ; et quant à ce grand vaurien de Marcotte, qui m’a si rudement fustigé hier, je suppose qu’il ne serait que juste qu’il fût une fois plus maltraité que son maître.

Tout en faisant ce double vœu, Thibault était fortement ému. Malgré ce qu’il avait vu de la puissance du loup noir, il craignait que celui-ci n’eût abusé de sa crédulité. Aussi, le vœu fait, lui fut-il impossible de reprendre son ouvrage. Il s’écorcha les doigts au paroir, qu’il prit à l’envers, et gâta, en s’obstinant à les parer, une paire de sabots de douze sous.

Pendant que Thibault déplorait cet irréparable accident et qu’il secouait sa main ensanglantée, il se fit un grand bruit du côté de la vallée.

Il courut à la route de la Chrétiennelle et vit de loin un cortège d’hommes qui revenait à petits pas.