Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/146

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la vérité. Ne flattez pas un mourant d’un espoir qui serait vain.


— Messieurs, tant que M. le cardinal a vécu, je l'ai laissé gouverner mes affaires ; mais, à présent, j'entends les gouverner moi-même. — Page 142.

Là, il arrêta un regard de Colbert lui disant qu’il allait faire fausse route.

— Je sais, dit Anne d’Autriche, en prenant la main du cardinal, je sais que vous avez fait généreusement, non pas une petite donation, comme vous dites avec tant de modestie, mais un don magnifique ; je sais combien il vous serait pénible que le roi…

Mazarin écoutait, tout mourant qu’il était, comme dix vivants n’eussent pu le faire.

— Que le roi ? reprit-il.

— Que le roi, continua Anne d’Autriche, n’acceptât point de bon cœur ce que vous offrez si noblement.

Mazarin se laissa retomber sur l’oreiller comme Pantalon, c’est-à-dire avec tout le désespoir de l’homme qui s’abandonne au naufrage ; mais il conserva encore assez de force et de présence d’esprit pour jeter à Colbert un de ces regards qui valent bien dix sonnets, c’est-à-dire dix longs poëmes.

— N’est-ce pas, ajouta la reine, que vous eussiez considéré le refus du roi comme une sorte d’injure ?

Mazarin roula sa tête sur l’oreiller sans articuler une seule syllabe. La reine se trompa, ou feignit de se tromper, à cette démonstration.

— Aussi, reprit-elle, je l’ai circonvenu par de bons conseils, et comme certains esprits, jaloux sans doute de la gloire que vous allez acquérir