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tranquille, Monsieur, on sait à qui l’on a affaire, et l’on vous traitera en conséquence. »

Ces mots et le geste qui les accompagnait avaient paru bienveillants, mais peu clairs à Malicorne. Or, comme il ne voulait pas faire une grosse dépense, et que, demandant une petite chambre, il eût sans doute été refusé à cause de son peu d’importance même, il se hâta de ramasser au bond les paroles de l’aubergiste, et de le duper avec sa propre finesse.

Aussi, souriant en homme pour lequel on ne fait qu’absolument ce que l’on doit faire :

— Mon cher hôte, dit-il, je prendrai l’appartement le meilleur et le plus gai.

— Avec écurie ?

— Avec écurie.

— Pour quel jour ?

— Pour tout de suite, si c’est possible.

— À merveille.

— Seulement, se hâta d’ajouter Malicorne, je n’occuperai pas incontinent le grand appartement.

— Bon ! fit l’hôte avec un air d’intelligence.

— Certaines raisons, que vous comprendrez plus tard, me forcent de ne mettre à mon compte que cette petite chambre.

— Oui, oui, oui, fit l’hôte.

— Mon ami, quand il viendra, prendra le grand appartement, et naturellement, comme ce grand appartement sera le sien, il réglera directement.

— Très-bien ! fit l’hôte, très-bien ! c’était convenu ainsi.

— C’était convenu ainsi ?

— Mot pour mot.

— C’est extraordinaire, murmura Malicorne. Ainsi vous comprenez ?

— Oui.

— C’est tout ce qu’il faut. Maintenant que vous comprenez… car vous comprenez bien, n’est-ce pas ?

— Parfaitement.

— Eh bien, vous allez me conduire à ma chambre.

L’hôte du Beau-Paon marcha devant Malicorne, son bonnet à la main.

Malicorne s’installa dans sa chambre et y demeura tout surpris de voir l’hôte, à chaque ascension ou à chaque descente, lui faire de ces petits clignements d’yeux qui indiquent la meilleure intelligence entre deux correspondants.

— Il y a quelque méprise là-dessous, se disait Malicorne ; mais, en attendant qu’elle s’éclaircisse, j’en profite, et c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

Et de sa chambre il s’élançait comme un chien de chasse à la piste des nouvelles et des curiosités de la cour, se faisant rôtir ici et noyer là, comme il avait dit à mademoiselle de Montalais.

Le lendemain de son installation, il avait vu arriver successivement les sept voyageurs qui remplissaient toute l’hôtellerie.

À l’aspect de tout ce monde, de tous ces équipages, de tout ce train, Malicorne se frotta les mains, en songeant que, faute d’un jour, il n’eût pas trouvé un lit pour se reposer au retour de ses explorations.

Après que tous les étrangers se furent casés, l’hôte entra dans sa chambre, et, avec sa gracieuseté habituelle :

— Mon cher Monsieur, lui dit-il, il vous reste le grand appartement du troisième corps de logis ; vous savez cela ?

— Sans doute, je le sais.

— Et c’est un véritable cadeau que je vous fais.

— Merci !

— De sorte que, lorsque votre ami viendra…

— Eh bien ?

— Eh bien, il sera content de moi, ou, dans le cas contraire, c’est qu’il sera bien difficile.

— Pardon ! voulez-vous me permettre de dire quelques mots à propos de mon ami ?

— Dites, pardieu ! vous êtes bien le maître.

— Il devait venir, comme vous savez…

— Et il le doit toujours.

— C’est qu’il pourrait avoir changé d’avis.

— Non.

— Vous en êtes sûr ?

— J’en suis sûr.

— C’est que, dans le cas où vous auriez quelque doute…

— Après ?

— Je vous dirais, moi : je ne vous réponds pas qu’il vienne.

— Mais il vous a dit cependant…

— Certainement il m’a dit ; mais vous savez, l’homme propose et Dieu dispose, verba volant, scripta manent.

— Ce qui veut dire ?

— Les mots s’envolent, les écrits restent ; et, comme il ne m’a pas écrit, qu’il s’est contenté de me dire, je vous autoriserai donc, sans cependant vous y inviter… vous sentez, c’est fort embarrassant.

— À quoi m’autorisez-vous ?

— Dame ! à louer son appartement, si vous en trouvez un bon prix.

— Moi ?

— Oui, vous.

— Jamais, Monsieur, jamais je ne ferai une pareille chose. S’il ne vous a pas écrit, à vous…

— Non.

— Il m’a écrit, à moi.

— Ah !

— Oui.

— Et dans quels termes ? Voyons si sa lettre s’accorde avec ses paroles.

— En voici à peu près le texte :

« À Monsieur le propriétaire de l’hôtel du Beau-Paon,

« Vous devez être prévenu du rendez-vous pris dans votre hôtel par quelques personnages d’importance ; je fais partie de la société qui se réunit à Fontainebleau. Retenez donc à la fois, et une petite chambre pour un ami qui arrivera avant moi ou après moi… »

— C’est vous cet ami, n’est-ce pas ? fit en s’interrompant l’hôte du Beau Paon.

Malicorne s’inclina modestement.

L’hôte reprit :

« Et un grand appartement pour moi. Le grand appartement me regarde; mais je désire que le prix de la chambre soit modique, cette chambre étant destinée à un pauvre diable. »