Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa Majesté elle-même, M. Valot. Celui-ci est, en outre, assisté du confrère chez lequel M. de Guiche a été transporté.

— Comment ! il n’est pas au château ? fit Madame.

— Hélas ! Madame, le pauvre garçon était si mal, qu’il n’a pu être amené jusqu’ici.

— Donnez-moi l’adresse, Monsieur, dit vivement la princesse ; j’enverrai quérir de ses nouvelles.

— Rue du Feurre ; une maison de briques avec des volets blancs. Le nom du médecin est inscrit sur la porte.

— Vous retournez près du blessé, monsieur de Manicamp ?

— Oui, Madame.

— Alors il convient que vous me rendiez un service.

— Je suis aux ordres de Votre Altesse.

— Faites ce que vous vouliez faire ; retournez près de M. de Guiche, éloignez tous les assistants ; veuillez vous éloigner vous-même.

— Madame…

— Ne perdons pas de temps en explications inutiles. Voilà le fait ; n’y voyez pas autre chose que ce qui s’y trouve, ne demandez pas autre chose que ce que je vous dis. Je vais envoyer une de mes femmes, deux peut-être, à cause de l’heure avancée ; je ne voudrais pas qu’elles vous vissent, ou plus franchement, je ne voudrais pas que vous les vissiez : ce sont des scrupules que vous devez comprendre, vous surtout, monsieur de Manicamp, qui devinez tout.

— Oh ! Madame, parfaitement ; je puis même faire mieux, je marcherai devant vos messagères ; ce sera à la fois un moyen de leur indiquer sûrement la route et de les protéger, si le hasard faisait qu’elles eussent, contre toute probabilité, besoin de protection.

— Et puis, par ce moyen surtout, elles entreront sans difficulté aucune, n’est-ce pas ?

— Certes, Madame ; car, passant le premier, j’aplanirais ces difficultés, si le hasard faisait qu’elles existassent.

— Eh bien, allez, allez, monsieur de Manicamp, et attendez au bas de l’escalier.

— J’y vais, Madame.

— Attendez.

Manicamp s’arrêta.

— Quand vous entendrez descendre deux femmes, sortez et suivez, sans vous retourner, la route qui conduit chez le pauvre comte.

— Mais, si le hasard faisait descendre deux autres personnes que je m’y trompasse ?

— On frappera trois fois doucement dans les mains.

— Oui, Madame.

— Allez, allez.

Manicamp se retourna, salua une dernière fois, et sortit la joie dans le cœur. Il n’ignorait pas, en effet, que la présence de Madame était le meilleur baume à appliquer sur les plaies du blessé.

Un quart d’heure ne s’était pas écoulé que le bruit d’une porte qu’on ouvrait et qu’on refermait avec précaution parvint jusqu’à lui. Puis il entendit les pas légers glissant le long de la rampe ; puis les trois coups frappés dans les mains, c’est-à-dire le signal convenu.

Il sortit aussitôt, et, fidèle à sa parole, se dirigea, sans retourner la tête, à travers les rues de Fontainebleau, vers la demeure du médecin.


CLX

MALICORNE ARCHIVISTE DU ROYAUME DE FRANCE


Deux femmes, ensevelies dans leurs mantes et le visage couvert d’un demi-masque de velours noir, suivaient timidement les pas de Manicamp.

Au premier étage, derrière les rideaux de damas rouge, brillait la douce lueur d’une lampe posée sur un dressoir.

À l’autre extrémité de la même chambre, dans un lit à colonnes torses, fermé de rideaux pareils à ceux qui éteignaient le feu de la lampe, reposait de Guiche, la tête élevée sur un double oreiller, les yeux noyés dans un brouillard épais ; de longs cheveux noirs, bouclés, éparpillés sur le lit, paraient de leur désordre les tempes sèches et pâles du jeune homme.

On sentait que la fièvre était la principale hôtesse de cette chambre.

De Guiche rêvait. Son esprit suivait, à travers les ténèbres, un de ces rêves du délire comme Dieu en envoie sur la route de la mort à ceux qui vont tomber dans l’univers de l’éternité.

Deux ou trois taches de sang encore liquide maculaient le parquet.

Manicamp monta les degrés avec précipitation ; seulement, au seuil, il s’arrêta, poussa doucement la porte, passa la tête dans la chambre, et, voyant que tout était tranquille, il s’approcha, sur la pointe du pied, du grand fauteuil de cuir, échantillon mobilier du règne de Henri IV, et voyant que la garde-malade s’y était naturellement endormie, il la réveilla et la pria de passer dans la pièce voisine.

Puis, debout près du lit, il demeura un instant à se demander s’il fallait réveiller de Guiche pour lui apprendre la bonne nouvelle.

Mais, comme derrière la portière il commençait à entendre le frémissement soyeux des robes et la respiration haletante de ses compagnes de route, comme il voyait déjà cette portière impatiente se soulever, il s’effaça le long du lit et suivit la garde-malade dans la chambre voisine.

Alors, au moment même où il disparaissait, la draperie se souleva et les deux femmes entrèrent dans la chambre qu’il venait de quitter.

Celle qui était entrée la première fit à sa compagne un geste impérieux qui la cloua sur un escabeau près de la porte.

Puis elle s’avança résolument vers le lit, fit glisser les rideaux sur la tringle de fer et rejeta leurs plis flottants derrière le chevet.

Elle vit alors la figure pâlie du comte ; elle vit sa main droite, enveloppée d’un linge éblouis-