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Un escalier particulier, placé sous la surveillance de madame de Navailles, conduisait chez elles.

Pour plus grande sûreté, madame de Navailles, qui avait entendu parler des tentatives antérieures de Sa Majesté, avait fait griller les fenêtres des chambres et les ouvertures des cheminées.

Il y avait donc toute sûreté pour l’honneur de mademoiselle de La Vallière, dont la chambre ressemblait plus à une cage qu’à toute autre chose.

Mademoiselle de La Vallière, lorsqu’elle était chez elle, et elle y était souvent, Madame n’utilisant guère ses services depuis qu’elle la savait en sûreté sous le regard de madame de Navailles, mademoiselle de La Vallière n’avait donc d’autre distraction que de regarder à travers les grilles de sa fenêtre.

Or, un matin qu’elle regardait comme d’habitude, elle aperçut Malicorne à une fenêtre parallèle à la sienne.

Il tenait en main un aplomb de charpentier, lorgnait les bâtiments, et additionnait des formules algébriques sur du papier. Il ne ressemblait pas mal ainsi à ces ingénieurs qui, du coin d’une tranchée, relèvent les angles d’un bastion ou prennent la hauteur des murs d’une forteresse.

La Vallière reconnut Malicorne et le salua.

Malicorne, à son tour, répondit par un grand salut et disparut de la fenêtre.

Elle s’étonna de cette espèce de froideur, peu habituelle au caractère toujours égal de Malicorne ; mais elle se souvint que le pauvre garçon avait perdu son emploi pour elle, et qu’il ne devait pas être dans d’excellentes dispositions à son égard, puisque, selon toute probabilité, elle ne serait jamais en position de lui rendre ce qu’il avait perdu.

Elle savait pardonner les offenses, à plus forte raison compatir au malheur.

La Vallière eût demandé conseil à Montalais, si Montalais eût été là ; mais Montalais était absente.

C’était l’heure où Montalais faisait sa correspondance.

Tout à coup, La Vallière vit un objet lancé de la fenêtre où avait apparu Malicorne traverser l’espace, passer à travers ses barreaux et rouler sur son parquet.

Elle alla curieusement vers cet objet et le ramassa. C’était une de ces bobines sur lesquelles on dévide la soie.

Seulement, au lieu de soie, un petit papier s’enroulait sur la bobine.

La Vallière le déroula et lut :


« Mademoiselle,

« Je suis inquiet de savoir deux choses :

« La première, de savoir si le parquet de votre appartement est de bois ou de briques.

« La seconde, de savoir encore à quelle distance de la fenêtre est placé votre lit.

« Excusez mon importunité, et veuillez me faire réponse par la même voie qui vous a apporté ma lettre, c’est-à-dire par la voie de la bobine.

« Seulement, au lieu de la jeter dans ma chambre comme je l’ai jetée dans la vôtre, ce qui vous serait plus difficile qu’à moi, ayez tout simplement l’obligeance de la laisser tomber.

« Croyez-moi surtout, Mademoiselle, votre bien humble et bien respectueux serviteur,

Malicorne.


« Écrivez la réponse, s’il vous plaît, sur la lettre même. »

— Ah ! le pauvre garçon, s’écria La Vallière, il faut qu’il soit devenu fou.

Et elle dirigea du côté de son correspondant, que l’on entrevoyait dans la pénombre de la chambre, un regard plein d’affectueuse compassion.

Malicorne comprit, et secoua la tête comme pour lui répondre :

— Non, non, je ne suis point fou, soyez tranquille.

Elle sourit d’un air de doute.

— Non, non, reprit-il du geste, la tête est bonne.

Et il montra sa tête.

Puis, agitant la main comme un homme qui écrit rapidement :

— Allons, écrivez, mima-t-il avec une sorte de prière.

La Vallière, fût-il fou, ne vit point d’inconvénient à faire ce que Malicorne lui demandait ; elle prit un crayon et écrivit :

« Bois. »

Puis elle compta dix pas de la fenêtre à son lit, et écrivit encore :

« Dix pas. »

Ce qu’ayant fait, elle regarda du côté de Malicorne, lequel la salua et lui fit signe qu’il descendait.

La Vallière comprit que c’était pour recevoir la bobine.

Elle s’approcha de la fenêtre, et, conformément aux instructions de Malicorne, elle la laissa tomber.

Le rouleau courait encore sur les dalles quand Malicorne s’élança, l’atteignit, le ramassa, se mit à l’éplucher comme fait un singe d’une noix, et courut d’abord vers la demeure de M. de Saint-Aignan.

De Saint-Aignan avait choisi ou plutôt sollicité son logement le plus près possible du roi, pareil à ces plantes qui recherchent les rayons du soleil pour se développer plus fructueusement.

Son logement se composait de deux pièces, dans le corps de logis même occupé par Louis XIV.

M. de Saint-Aignan était fier de cette proximité, qui lui donnait l’accès facile chez Sa Majesté, et, de plus, la faveur de quelques rencontres inattendues.

Il s’occupait, au moment où nous parlons de lui, à faire tapisser magnifiquement ces deux pièces, comptant sur l’honneur de quelques visites du roi ; car Sa Majesté, depuis la passion qu’elle avait pour La Vallière, avait choisi de Saint-Aignan pour confident, et ne pouvait se passer de lui ni la nuit ni le jour.

Malicorne se fit introduire chez le comte et ne rencontra point de difficultés, parce qu’il