Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant dans les bordures de buis et de trèfle.

Car il y a de tout cela dans Hampton-Court ; il y a, en outre, les espaliers de roses blanches qui grimpent le long des hauts treillages pour laisser retomber sur le sol leur neige odorante ; il y a dans le parc les vieux sycomores aux troncs verdissants qui baignent leurs pieds dans une poétique et luxuriante moisissure.

Non, ce que Charles II aimait dans Hampton-Court, c’étaient les ombres charmantes qui couraient après midi sur ses terrasses, lorsque, comme Louis XIV, il avait fait peindre leurs beautés dans son grand cabinet par un des pinceaux intelligents de son époque, pinceaux qui savaient attacher sur la toile un rayon échappé de tant de beaux yeux qui lançaient l’amour.

Le jour où nous arrivons à Hampton-Court, le ciel est presque doux et clair comme en un jour de France, l’air est d’une tiédeur humide, les géraniums, les pois de senteur énormes, les seringats et les héliotropes, jetés par millions dans le parterre, exhalent leurs arômes enivrants.

Il est une heure. Le roi, revenu de la chasse, a dîné, rendu visite à la duchesse de Castelmaine, la maîtresse en titre, et, après cette preuve de fidélité, il peut à l’aise se permettre des infidélités jusqu’au soir.

Toute la cour folâtre et aime. C’est le temps où les dames demandent sérieusement aux gentilshommes leur sentiment sur tel ou tel pied plus ou moins charmant, selon qu’il est chaussé d’un bas de soie rose ou d’un bas de soie verte.

C’est le temps où Charles II déclare qu’il n’y a pas de salut pour une femme sans le bas de soie verte, parce que mademoiselle Lucy Stewart les porte de cette couleur.

Tandis que le roi cherche à communiquer ses préférences, nous verrons, dans l’allée des hêtres qui faisait face à la terrasse, une jeune dame en habit de couleur sévère marchant auprès d’un autre habit de couleur lilas et bleu sombre.

Elles traversèrent le parterre de gazon, au milieu duquel s’élevait une belle fontaine aux sirènes de bronze, et s’en allèrent en causant sur la terrasse, le long de laquelle, de la clôture de briques, sortaient dans le parc plusieurs cabinets variés de forme ; mais, comme ces cabinets étaient pour la plupart occupés, ces jeunes femmes passèrent : l’une rougissait, l’autre rêvait.

Enfin, elles vinrent au bout de cette terrasse qui dominait toute la Tamise, et, trouvant un frais abri, s’assirent côte à côte.

— Où allons-nous, Stewart ? dit la plus jeune des deux femmes à sa compagne.

— Ma chère Graffton, nous allons, tu le vois bien, où tu nous mènes.

— Moi ?

— Sans doute, toi : à l’extrémité du palais, vers ce banc où le jeune Français attend et soupire.

Miss Mary Graffton s’arrêta court.

— Non, non, dit-elle, je ne vais pas là.

— Pourquoi ?

— Retournons, Stewart.

— Avançons, au contraire, et expliquons-nous.

— Sur quoi ?

— Sur ce que le vicomte de Bragelonne est de toutes les promenades que tu fais, comme tu es de toutes les promenades qu’il fait.

— Et tu en conclus qu’il m’aime ou que je l’aime ?

— Pourquoi pas ; c’est un charmant gentilhomme. Personne ne m’entend, je l’espère, dit miss Lucy Stewart en se retournant avec un sourire qui indiquait, au reste, que son inquiétude n’était pas grande.

— Non, non ! dit Mary, le roi est dans son cabinet ovale avec M. de Buckingham.

— À propos de M. de Buckingham, Mary…

— Quoi ?

— Il me semble qu’il s’est déclaré ton chevalier depuis le retour de France ; comment va ton cœur de ce côté ?

Mary Graffton haussa les épaules.

— Bon ! bon ! je demanderai cela au beau Bragelonne, dit Stewart en riant ; allons le retrouver bien vite.

— Pourquoi faire ?

— J’ai à lui parler, moi.

— Pas encore ; un mot auparavant. Voyons, toi, Stewart, qui sais les petits secrets du roi.

— Tu crois cela ?

— Dame ! tu dois les savoir, ou personne ne les saura ; dis, pourquoi M. de Bragelonne est-il en Angleterre, et qu’y fait-il ?

— Ce que fait tout gentilhomme envoyé par son roi vers un autre roi.

— Soit ; mais, sérieusement, quoique la politique ne soit pas notre fort, nous en savons assez pour comprendre que M. de Bragelonne n’a point ici de mission sérieuse.

— Écoute, dit Stewart avec une gravité affectée, je veux bien pour toi trahir un secret d’État. Veux-tu que je te récite la lettre de crédit donnée par le roi Louis XIV à M. de Bragelonne, et adressée à Sa Majesté le roi Charles II ?

— Oui, sans doute.

— La voici : « Mon frère, je vous envoie un gentilhomme de ma cour, fils de quelqu’un que vous aimez. Traitez-le bien, je vous en prie, et faites-lui aimer l’Angleterre. »

— Il y avait cela ?

— Tout net… ou l’équivalent. Je ne réponds pas de la forme, mais je réponds du fond.

— Eh bien, qu’en as-tu déduit, ou plutôt qu’en a déduit le roi ?

— Que Sa Majesté française avait ses raisons pour éloigner M. de Bragelonne, et le marier… autre part qu’en France.

— De sorte qu’en vertu de cette lettre ?…

— Le roi Charles II a reçu de Bragelonne comme tu sais, splendidement et amicalement ; il lui a donné la plus belle chambre de White-Hall, et, comme tu es la plus précieuse personne de sa cour, attendu que tu as refusé son cœur… allons, ne rougis pas… il a voulu te donner du goût pour le Français et lui faire ce beau présent. Voilà pourquoi, toi, héritière de trois cent mille livres, toi, future duchesse, toi, belle et bonne, il t’a mise de toutes les promenades dont M. de Bragelonne faisait partie. Enfin, c’était un complot, une espèce de conspiration. Vois si tu veux y mettre le feu, je t’en livre la mèche.

Miss Mary sourit avec une expression char-