Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surpris par la révélation subite du mal, s’énerve en cris, en luttes directes, et se fait terrasser plus vite par l’inflexible ennemi qu’il combat. Une fois terrassé, il ne souffre plus.

Louis fut dompté en un quart d’heure ; puis il cessa de crisper ses poings et de brûler avec ses regards les invincibles objets de sa haine ; il cessa d’accuser par de violentes paroles M. Fouquet et La Vallière ; il tomba de la fureur dans le désespoir, et du désespoir dans la prostration.

Après qu’il se fut roidi et tordu pendant quelques instants sur le lit, ses bras inertes retombèrent à ses côtés. Sa tête languit sur l’oreiller de dentelle, ses membres épuisés frissonnèrent, agités de légères contractions musculaires, sa poitrine ne laissa plus filtrer que de rares soupirs.

Le dieu Morphée, qui régnait en souverain dans cette chambre à laquelle il avait donné son nom, et vers lequel Louis tournait ses yeux appesantis par la colère et rougis par les larmes, le dieu Morphée versait sur lui les pavots dont ses mains étaient pleines, de sorte que le roi ferma doucement ses yeux et s’endormit.

Alors il lui sembla, comme il arrive dans ce premier sommeil, si doux et si léger, qui élève le corps au-dessus de la couche, l’âme au-dessus de la terre, il lui sembla que le dieu Morphée, peint sur le plafond, le regardait avec des yeux tout humains ; que quelque chose brillait et s’agitait dans le dôme ; que les essaims de songes sinistres, un instant déplacés, laissaient à découvert un visage d’homme, la main appuyée sur sa bouche, et dans l’attitude d’une méditation contemplative. Et, chose étrange, cet homme ressemblait tellement au roi, que Louis croyait voir son propre visage réfléchi dans un miroir. Seulement, ce visage était attristé par un sentiment de profonde pitié.

Puis il lui sembla, peu à peu, que le dôme fuyait, échappant à sa vue, et que les figures et les attributs peints par Le Brun s’obscurcissaient dans un éloignement progressif. Un mouvement doux, égal, cadencé, comme celui d’un vaisseau qui plonge sous la vague, avait succédé à l’immobilité du lit. Le roi faisait un rêve sans doute, et, dans ce rêve, la couronne d’or qui attachait les rideaux s’éloignait comme le dôme auquel elle restait suspendue, de sorte que le génie ailé, qui, des deux mains, soutenait cette couronne, semblait appeler vainement le roi, qui disparaissait loin d’elle.

Le lit s’enfonçait toujours. Louis, les yeux ouverts, se laissait décevoir par cette cruelle hallucination. Enfin, la lumière de la chambre royale allant s’obscurcissant, quelque chose de froid, de sombre, d’inexplicable envahit l’air. Plus de peintures, plus d’or, plus de rideaux de velours, mais des murs d’un gris terne, dont l’ombre s’épaississait de plus en plus. Et cependant le lit descendait toujours, et, après une minute, qui parut un siècle au roi, il atteignit une couche d’air noire et glacée. Là, il s’arrêta.

Le roi ne voyait plus la lumière de sa chambre que comme du fond d’un puits on voit la lumière du jour.

— Je fais un affreux rêve ! pensa-t-il. Il est temps de me réveiller. Allons, réveillons-nous !

Tout le monde a éprouvé ce que nous disons là ; il n’est personne qui, au milieu d’un cauchemar étouffant, ne se soit dit, à l’aide de cette lampe qui veille au fond du cerveau quand toute lumière humaine est éteinte, il n’est personne qui ne se soit dit : « Ce n’est rien, je rêve ! »

C’était ce que venait de se dire Louis XIV ; mais à ce mot : « Réveillons-nous ! » il s’aperçut que non-seulement il était éveillé, mais encore qu’il avait les yeux ouverts. Alors il les jeta autour de lui.

À sa droite et à sa gauche se tenaient deux hommes armés, enveloppés chacun dans un vaste manteau et le visage couvert d’un masque.

L’un de ces hommes tenait à la main une petite lampe dont la lueur rouge éclairait le plus triste tableau qu’un roi pût envisager.

Louis se dit que son rêve continuait, et que, pour le faire cesser, il suffisait de remuer les bras ou de faire entendre sa voix. Il sauta à bas du lit, et se trouva sur un sol humide. Alors, s’adressant à celui des deux hommes qui tenait la lampe :

— Qu’est cela, Monsieur, dit-il, et d’où vient cette plaisanterie ?

— Ce n’est point une plaisanterie, répondit d’une voix sourde celui des deux hommes masqués qui tenait la lanterne.

— Êtes-vous à M. Fouquet ? demanda le roi un peu interdit.

— Peu importe à qui nous appartenons ! dit le fantôme. Nous sommes vos maîtres, voilà tout.

Le roi, plus impatient qu’intimidé, se tourna vers le second masque.

— Si c’est une comédie, fit-il, vous direz à M. Fouquet que je la trouve inconvenante, et j’ordonne qu’elle cesse.

Ce second masque, auquel s’adressait le roi, était un homme de très-haute taille et d’une vaste circonférence. Il se tenait droit et immobile comme un bloc de marbre.

— Eh bien ! ajouta le roi en frappant du pied, vous ne me répondez pas ?

— Nous ne vous répondons pas, mon petit monsieur, fit le géant d’une voix de stentor, parce qu’il n’y a rien à vous répondre, sinon que vous êtes le premier fâcheux, et que M. Coquelin de Volière vous a oublié dans le nombre des siens.

— Mais, enfin, que me veut-on ? s’écria Louis en se croisant les bras avec colère.

— Vous le saurez plus tard, répondit le porte-lampe.

— En attendant, où suis-je ?

— Regardez !

Louis regarda effectivement ; mais, à la lueur de la lampe que soulevait l’homme masqué, il n’aperçut que des murs humides, sur lesquels brillait çà et là le sillage argenté des limaces.

— Oh ! oh ! un cachot ? fit le roi.

— Non, un souterrain.

— Qui mène ?…

— Veuillez nous suivre.

— Je ne bougerai pas d’ici, s’écria le roi.

— Si vous faites le mutin, mon jeune ami,