Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus rempli d’allusions blessantes que de politesse pour Fouquet.

Celui-ci frissonna. Il venait, dans un cri plus terrible que les autres, de reconnaître la voix du roi.

Il s’arrêta au palier, prit le trousseau des mains de Baisemeaux. Celui-ci crut que le nouveau fou allait lui rompre le crâne avec l’une de ces clefs.

— Ah ! cria-t-il, M. d’Herblay ne m’avait point parlé de cela.

— Ces clefs donc ! dit Fouquet en les lui arrachant. Où est celle de la porte que je veux ouvrir ?

— Celle-ci.

Un cri effrayant, suivi d’un coup terrible dans la porte, vint faire écho dans l’escalier.

— Retirez-vous ! dit Fouquet à Baisemeaux d’une voix menaçante.

— Je ne demande pas mieux, murmura celui-ci. Voilà deux enragés qui vont se trouver face à face. L’un mangera l’autre, j’en suis assuré.

— Partez, répéta Fouquet. Si vous mettez le pied dans cet escalier avant que je vous appelle, souvenez-vous que vous prendrez la place du plus misérable des prisonniers de la Bastille.

— J’en mourrai, c’est sûr ! grommela Baisemeaux en se retirant d’un pas chancelant.

Les cris du prisonnier retentissaient, de plus en plus formidables. Fouquet s’assura que Baisemeaux arrivait au bas des degrés. Il mit la clef dans la première serrure.

Ce fut alors qu’il entendit clairement la voix étranglée du roi qui criait avec rage :

— Au secours ! je suis le roi ! au secours !

La clef de la seconde porte n’était pas la même que celle de la première. Fouquet fut obligé de chercher dans le trousseau.

Cependant, le roi ivre, fou, forcené, criait à tue-tête :

— C’est M. Fouquet qui m’a fait conduire ici ! Au secours contre M. Fouquet ! je suis le roi ! au secours pour le roi contre M. Fouquet !

Ces vociférations déchiraient le cœur du ministre. Elles étaient suivies de coups effrayants, frappés dans la porte avec cette chaise dont le roi se servait comme d’un bélier. Fouquet réussit à trouver la clef. Le roi était à bout de ses forces : il n’articulait plus, il rugissait.

— Mort à Fouquet ! hurlait-il, mort au scélérat Fouquet !

La porte s’ouvrit.


CCXXIX

LA RECONNAISSANCE DU ROI


Les deux hommes qui allaient se précipiter l’un vers l’autre s’arrêtèrent soudain en s’apercevant, et poussèrent chacun un cri d’horreur.

— Venez-vous pour m’assassiner, Monsieur ? dit le roi en reconnaissant Fouquet.

— Le roi dans cet état ! murmura le ministre.

Rien de plus effrayant, en effet, que l’aspect du jeune prince au moment où le surprit Fouquet. Ses habits étaient en lambeaux ; sa chemise, ouverte et déchirée, buvait à la fois la sueur et le sang qui s’échappaient de sa poitrine et de ses bras déchirés.

Hagard, pâle, écumant, les cheveux hérissés, Louis XIV offrait l’image la plus vraie du désespoir, de la faim et de la peur réunis en une seule statue. Fouquet fut si touché, si troublé, qu’il courut au roi les bras ouverts et les larmes aux yeux.

Louis leva sur Fouquet le tronçon de bois dont il avait fait un si furieux usage.

— Eh bien, dit Fouquet d’une voix tremblante, ne reconnaissez-vous pas le plus fidèle de vos amis ?

— Un ami, vous ? répéta Louis avec un grincement de dents où sonnaient la haine et la soif d’une prompte vengeance.

— Un serviteur respectueux, ajouta Fouquet en se précipitant à genoux.

Le roi laissa tomber son arme. Fouquet s’approcha, lui baisa les genoux, et le prit tendrement entre ses bras.

— Mon roi, mon enfant ! dit-il, avez-vous dû souffrir !

Louis, rappelé à lui-même par le changement de situation, se regarda, et, honteux de son désordre, honteux de sa folie, honteux de la protection qu’il recevait, il recula.

Fouquet ne comprit point ce mouvement. Il ne sentit pas que l’orgueil du roi ne lui pardonnerait jamais d’avoir été témoin de tant de faiblesse.

— Venez, sire, vous êtes libre, dit-il.

— Libre ? répéta le roi. Oh ! vous me rendez libre après avoir osé porter la main sur moi ?

— Vous ne le croyez pas ! s’écria Fouquet indigné ; vous ne croyez pas que je sois coupable en cette circonstance !

Et rapidement, chaleureusement même, il lui raconta toute l’intrigue dont on connaît les détails.

Tant que dura le récit, Louis supporta les plus horribles angoisses, et, le récit terminé, la grandeur du péril qu’il avait couru le frappa bien plus encore que l’importance du secret relatif à son frère jumeau.

— Monsieur, dit-il soudain à Fouquet, cette double naissance est un mensonge ; il est impossible que vous en ayez été la dupe.

— Sire !

— Il est impossible, vous dis-je, que l’on soupçonne l’honneur, la vertu de ma mère. Et mon premier ministre n’a pas déjà fait justice des criminels ?

— Réfléchissez bien, sire, avant de vous emporter, répondit Fouquet. La naissance de votre frère…

— Je n’ai qu’un frère : c’est Monsieur. Vous le connaissez comme moi. Il y a complot, vous dis-je, à commencer par le gouverneur de la Bastille.

— Prenez garde, sire ; cet homme a été trompé, comme tout le monde, par la ressemblance du prince.

— La ressemblance ? Allons donc !

— Il faut cependant que ce Marchiali soit bien semblable à Votre Majesté, pour que tous les yeux s’y laissent prendre, insista Fouquet.

— Folie !

— Ne dites pas cela, sire ; les gens qui s’apprêtent à affronter le regard de vos ministres, de votre mère, de vos officiers, de votre famille, ces gens-là doivent être bien sûrs de la ressemblance.

— En effet, murmura le roi ; ces gens-là, où sont-ils ?

— Mais à Vaux.

— À Vaux ! Vous souffrez qu’ils y restent ?

— Le plus pressé, ce me semble, était de délivrer Votre Majesté. J’ai accompli ce devoir. Maintenant, faisons ce qu’ordonnera le roi. J’attends.

Louis réfléchit un moment.