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LES FRÈRES CORSES

— Les absens sont dans la main de Dieu. Le principal est que tu sois sûr qu’il vit.

— S’il était mort, dit tranquillement Lucien, je l’aurais revu.

— Et tu me l’aurais dit, n’est-ce pas, mon fils ?

— Oh ! à l’instant même, je vous le jure, ma mère.

— Bien… Pardon, monsieur, continua-t-elle en se retournant de mon côté, de ne pas avoir su réprimer devant vous mes inquiétudes maternelles : c’est que non seulement Louis et Lucien sont mes fils, mais encore ce sont les derniers de notre nom… Veuillez vous asseoir à ma droite… Lucien, mets-toi là.

Et elle indiqua au jeune homme la place vacante à sa gauche.

Nous nous assîmes à l’extrémité d’une longue table, au bout opposé de laquelle étaient mis six autres couverts, destinés à ce qu’on appelle en Corse la famille, c’est-à-dire à ces personnages qui, dans les grandes maisons, tiennent le milieu entre les maîtres et les domestiques.

La table était copieusement servie.

Mais j’avoue que, quoique doué pour le moment d’une faim dévorante, je me contentai de l’assouvir matériellement, sans que mon esprit préoccupé me permît de savourer aucun des plaisirs délicats de la gastronomie. En effet, il me semblait, en entrant dans