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LES FRÈRES CORSES

cherchait en vain à pénétrer l’obscurité, nous voyions la Méditerranée calme, et pareille à un vaste miroir d’acier bruni, se dérouler à l’horizon.

Certains bruits particuliers à la nuit, soit qu’ils disparaissent le jour sous d’autres bruits, soit qu’ils s’éveillent véritablement avec les ténèbres, se faisaient entendre, et produisaient, non pas sur Lucien, qui, familier avec eux, pouvait les reconnaître, mais sur moi, à qui ils étaient étrangers, des sensations de surprise singulières et qui entretenaient dans mon esprit cette émotion continuelle qui donne un intérêt puissant à tout ce qu’on voit.

Arrivés à une espèce de petit embranchement où la route se divisait en deux, c’est-à-dire en un chemin qui paraissait faire le tour de la montagne, et un sentier à peine visible qui piquait droit sur elle, Lucien s’arrêta.

— Voyons, me dit-il, avez-vous le pied montagnard ?

— Le pied, oui, mais pas l’œil.

— C’est-à-dire que vous avez des vertiges ?

— Oui ; le vide m’attire irrésistiblement.

— Alors nous pouvons prendre par ce sentier, qui ne nous offrira pas de précipices, mais seulement des difficultés de terrain.

— Oh ! pour les difficultés de terrain, cela m’est égal.

— Prenons donc ce sentier, il nous épargne trois quarts d’heure de marche.