Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/129

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tenait lieu de boussole pour se diriger vers le monde lointain et ignoré que lui cachaient encore les horizons de l’avenir, et c’était d’après cette avidité seule qu’il se gouvernait.

Le trésor se trouvait-il par hasard un peu garni, on voyait surgir et s’approcher d’Épernon, le bras arrondi et le visage riant ; le trésor était-il vide, il disparaissait, la lèvre dédaigneuse et le sourcil froncé, pour s’enfermer, soit dans son hôtel, soit dans quelqu’un de ses châteaux où il pleurait misère jusqu’à ce qu’il eût pris le pauvre roi par la faiblesse du cœur et tiré de lui quelque don nouveau.

Par lui le favoritisme avait été érigé en métier, métier dont il exploitait habilement tous les revenus possibles. D’abord il ne passait pas au roi le moindre retard à payer aux échéances ; puis, lorsqu’il devint plus tard courtisan et que les bises capricieuses de la faveur royale furent revenues assez fréquentes pour solidifier sa cervelle gasconne ; plus tard, disons-nous, il consentit à se donner une part du travail, c’est-à-dire à coopérer à la rentrée des fonds dont il voulait faire sa proie.

Cette nécessité, il le sentait bien, l’entraînait à devenir, de courtisan paresseux, ce qui est le meilleur de tous les états, courtisan actif, ce qui est la pire de toutes les conditions. Il déplora bien amèrement alors les doux loisirs de Quélus, de Schomberg et de Maugiron, qui, eux, n’avaient de leur vie parlé affaires publiques ni privées, et qui convertissaient si facilement la faveur en argent et l’argent en plaisirs ; mais les temps avaient changé : l’âge de fer avait succédé à l’âge d’or ; l’argent ne venait plus comme autrefois : il fallait aller à l’argent, fouiller, pour le prendre, dans les veines du peuple, comme dans une mine à moitié tarie. D’Épernon se résigna et se lança en affamé dans les inextricables ronces de l’administration, dévastant çà et là sur son passage, et pressurant sans tenir compte des malédictions, chaque fois que le bruit des écus d’or couvrait la voix des plaignants.