Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/135

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toute réponse, il regarda cet homme, dont il avait fait la haute fortune, avec une expression des plus significatives.

D’Épernon comprit.

— Votre Majesté me reproche ses bienfaits, dit-il du ton d’un Gascon achevé. Moi, je ne lui reproche pas mon dévouement.

Et le duc, qui ne s’était pas encore assis, prit le pliant que le roi avait fait préparer pour lui.

— La Valette, La Valette, dit Henri avec tristesse, tu me navres le cœur, toi qui as tant d’esprit, toi qui pourrais, par ta bonne humeur me faire gai et joyeux ! Dieu m’est témoin que je n’ai point entendu parler de Quélus, si brave ; de Schomberg, si bon ; de Maugiron, si chatouilleux sur le point de mon honneur. Non, il y avait même en ce temps-là Bussy, Bussy, qui n’était point à moi si tu veux, mais que je me fusse acquis, si je n’avais craint de donner de l’ombrage aux autres ; Bussy, qui est la cause involontaire de leur mort, hélas ! Où en suis-je venu, que je regrette même mes ennemis ! Certes, tous quatre étaient de braves gens. Eh ! mon Dieu ! ne te fâche point de ce que je te dis là. Que veux-tu, La Valette, ce n’est point ton tempérament de donner à chaque heure du jour de grands coups de rapière sur tout venant ; mais enfin, cher ami, si tu n’es pas aventureux et haut à la main, tu es facétieux, fin, de bon conseil parfois. Tu connais toutes mes affaires, comme cet autre ami plus humble avec lequel je n’éprouvai jamais un seul moment d’ennui.

— De qui Votre Majesté veut-elle parler ? demanda le duc.

— Tu devrais lui ressembler, d’Épernon.

— Mais encore faut-il que je sache qui Votre Majesté regrette.

— Oh ! pauvre Chicot, où es-tu ?

D’Épernon se leva tout piqué.

— Eh bien ! que fais-tu ? dit le roi.