Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/151

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si rare même pour des sujets, le roi Henri III surtout qui, lorsqu’il avait fait ses processions, peigné ses chiens, aligné ses têtes de morts et poussé sa quantité voulue de soupirs, n’avait plus rien à faire.

La garde instituée par d’Épernon plut donc au roi, surtout parce qu’on en parlerait, et qu’il pourrait en conséquence lire sur les physionomies autre chose que ce qu’il y voyait tous les jours depuis dix ans qu’il était revenu de Pologne.

Peu à peu et à mesure qu’il se rapprochait de sa chambre où l’attendait l’huissier, assez intrigué de cette excursion nocturne et insolite, Henri se développait à lui-même les avantages de l’institution des quarante-cinq, et, comme tous les esprits faibles ou affaiblis, il entrevoyait, s’éclaircissant, les idées que d’Épernon avait mises en lumière dans la conversation qu’il venait d’avoir avec lui.

— Au fait, pensa le roi, ces gens-là seront sans doute fort braves et seront peut-être fort dévoués ; quelques-uns ont des figures prévenantes, d’autres des faces rébarbatives : il y en aura, Dieu merci ! pour tout le monde… et puis c’est beau, un cortège de quarante-cinq épées toujours prêtes à sortir du fourreau !

Ce dernier chaînon de sa pensée, se soudant au souvenir de ces autres épées si dévouées qu’il regrettait si amèrement tout haut et plus amèrement encore tout bas, amena Henri à cette tristesse profonde dans laquelle il tombait si souvent à l’époque où nous sommes parvenus, qu’on eût pu dire que c’était son état habituel. Les temps si durs, les hommes si méchants, les couronnes si chancelantes au front des rois, lui imprimèrent une seconde fois cet immense besoin de mourir ou de s’égayer, pour sortir un instant de cette maladie que déjà, à cette époque, les Anglais, nos maîtres en mélancolie, avaient baptisé du nom de spleen.

Il chercha des yeux Joyeuse, puis ne l’apercevant nulle part, il le demanda.