Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/182

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les conspirations fomentés par les Guise, Chicot avait réfléchi.

Brave comme on sait, et insouciant, il faisait cependant le plus grand cas de la vie, qui l’amusait, comme il arrive à tous les hommes d’élite.

Il n’y a guère que les sots qui s’ennuient en ce monde, et qui vont chercher la distraction dans l’autre.

Le résultat de cette réflexion que nous avons indiquée, fut que la vengeance de M. de Mayenne lui parut plus redoutable que la protection du roi n’était efficace ; et il se disait, avec cette philosophie pratique qui le distinguait, qu’en ce monde rien ne défait ce qui est matériellement fait ; qu’ainsi toutes les hallebardes et toutes les cours de justice du roi de France ne raccommoderaient pas, si peu visible qu’elle fût, certaine ouverture que le couteau de M. de Mayenne aurait faite au pourpoint de Chicot.

Il avait donc pris son parti en homme fatigué d’ailleurs du rôle de plaisant, qu’à chaque minute il brûlait de changer en rôle sérieux, et des familiarités royales qui, par les temps qui couraient, le conduisaient droit à sa perte.

Chicot avait donc commencé par mettre entre l’épée de M. de Mayenne et la peau de Chicot la plus grande distance possible.

À cet effet, il était parti pour Beaune, dans le triple but de quitter Paris, d’embrasser son ami Gorenflot, et de goûter ce fameux vin de 1550, dont il avait été si chaleureusement question dans cette fameuse lettre qui termine notre récit de la Dame de Monsoreau.

Disons-le, la consolation avait été efficace : au bout de deux mois, Chicot s’aperçut qu’il engraissait à vue d’œil et que cela servirait merveilleusement à le déguiser ; mais il s’aperçut aussi qu’en engraissant il se rapprochait de Gorenflot plus qu’il n’était convenable à un homme d’esprit.

L’esprit l’emporta donc sur la matière.

Après que Chicot eut bu quelques centaines de bouteilles