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et confite. Il n’y avait que ses longs bras et ses jambes immenses que Chicot ne put raccourcir ; mais, comme il était fort industrieux, il avait, ainsi que nous l’avons dit, courbé son dos, ce qui lui faisait les bras presque aussi longs que les jambes.

Il joignit à ces exercices physionomiques la précaution de ne lier de relations avec personne.

En effet, si disloqué que fût Chicot, il ne pouvait éternellement garder la même posture.

Comment alors paraître bossu à midi quand on avait été droit à dix heures, et quel prétexte à donner à un ami qui vous voit tout à coup changer de figure, parce qu’en vous promenant avec lui vous rencontrez par hasard un visage suspect ?

Robert Briquet pratiqua donc la vie de reclus ; elle convenait d’ailleurs à ses goûts, toute sa distraction était d’aller rendre visite à Gorenflot, et d’achever avec lui ce fameux vin de 1550, que le digne prieur s’était bien gardé de laisser dans les caves de Beaune.

Mais les esprits vulgaires sont sujets au changement, comme les grands esprits : Gorenflot changea, non pas physiquement.

Il vit en sa puissance et à sa discrétion celui qui jusque-là avait tenu ses destinées entre ses mains.

Chicot, venant dîner au prieuré, lui parut un Chicot esclave, et Gorenflot, à partir de ce moment, pensa trop de soi et pas assez de Chicot.

Chicot vit sans s’offenser le changement de son ami : ceux qu’il avait éprouvés près du roi Henri l’avaient façonné à cette sorte de philosophie.

Il s’observa davantage, et ce fut tout.

Au lieu d’aller tous les deux jours au prieuré, il n’y alla plus qu’une fois la semaine, puis tous les quinze jours, puis enfin tous les mois.

Gorenflot était si gonflé qu’il ne s’en aperçut pas.