Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/191

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sage tourné vers la demeure de Robert Briquet, l’œil attaché sur les fenêtres, semblassent ne respirer, ne vivre, ne s’animer que pour cette contemplation.

Chicot demeura un instant stupéfait à regarder toute cette évolution et à écouter tout ce tintamarre.

Puis frappant ses deux cuisses de ses mains osseuses :

— Mais, dit-il, il y a méprise ; il est impossible que ce soit pour moi que l’on mène si grand bruit.

Alors, s’approchant davantage, il se mêla aux curieux que la sérénade avait attirés, et regardant attentivement autour de lui, il s’assura que toute la lumière des torches se reflétait sur sa maison, comme toute l’harmonie s’y engouffrait : nul dans cette foule ne s’occupait ni de la maison en face, ni des maisons voisines.

— En vérité, se dit Chicot, c’est bien pour moi : est-ce que quelque princesse inconnue serait tombée amoureuse de moi, par hasard ?

Cependant cette supposition, toute flatteuse qu’elle était, ne parut point convaincre Chicot.

Il se retourna vers la maison qui faisait face à la sienne.

Les deux seules fenêtres de cette maison, placées au second, les seules qui n’eussent point de volets, absorbaient par intervalles des éclairs de lumière ; mais c’était tout son plaisir à elle, pauvre maison, qui paraissait privée de toute vue, veuve de tout visage humain.

— Il faut qu’on dorme durement dans cette maison, dit Chicot, ventre de biche ! un pareil bacchanal réveillerait des morts !

Pendant toutes ces interrogations et toutes ces réponses que Chicot se faisait à lui-même, l’orchestre continuait ses symphonies comme s’il eût joué devant une assemblée de rois et d’empereurs.

— Pardon, mon ami, dit alors Chicot, s’adressant à un porte-flambeau, mais pourriez-vous, s’il vous plaît, me dire pour qui toute cette musique ?