Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/197

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— Mon cœur est là, voyez-vous, mon frère, dit Henri en étendant la main vers la maison, ma vie est là ; ne me demandez pas de vivre, si vous m’arrachez le cœur de la poitrine.

Le duc croisa ses bras avec une colère mêlée de pitié, mordit sa fine moustache, et après avoir réfléchi pendant quelques minutes de silence :

— Si votre père vous priait, Henri, dit-il, de vous laisser soigner par Miron, qui est un philosophe en même temps qu’un médecin…

— Je répondrais à notre père que je ne suis point malade, que ma tête est saine, et que Miron ne guérit pas du mal d’amour.

— Il faut donc adopter votre façon de voir, Henri ; mais pourquoi irais-je m’inquiéter ? Cette femme est femme, vous êtes persévérant, rien n’est donc désespéré, et à mon retour je vous verrai plus allègre, plus jovial et plus chantant que moi.

— Oui, oui, mon bon frère, reprit le jeune homme en serrant les mains de son ami ; oui, je guérirai, oui, je serai heureux, oui, je serai allègre ; merci de votre amitié, merci ! c’est mon bien le plus précieux.

— Après votre amour.

— Avant ma vie.

Joyeuse, profondément touché malgré sa frivolité apparente, interrompit brusquement son frère.

— Partons-nous ? dit-il, voilà que les flambeaux sont éteints, les instruments au dos des musiciens, les pages en route.

— Allez, allez, mon frère, je vous suis, dit du Bouchage en soupirant de quitter la rue.

— Je vous entends, dit Joyeuse ; le dernier adieu à la fenêtre, c’est juste. Alors, adieu aussi pour moi, Henri.

Henri passa ses bras au cou de son frère, qui se penchait pour l’embrasser.