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À ces mots l’homme referma la fenêtre, fit jaillir le feu d’une pierre, et alluma une lampe qu’il tendit vers un bras allongé pour la recevoir.

Chicot regardait de toutes les forces de sa prunelle.

Mais il n’eut pas plus tôt aperçu la pâle et sublime figure de la femme qui recevait cette lampe, il n’eut pas plus tôt saisi le regard doux et triste qui fut échangé entre le serviteur et la maîtresse, qu’il pâlit lui-même et sentit comme un frisson glacé courant dans ses veines.

La jeune femme, à peine avait-elle vingt-quatre ans, la jeune femme alors descendit l’escalier, son serviteur la suivit.

— Ah ! murmura Chicot, passant la main sur son front pour en essuyer la sueur, et comme si en même temps il eût voulu chasser une vision horrible, ah ! comte du Bouchage, brave, beau jeune homme, amoureux insensé qui parles maintenant de devenir joyeux, chantant et allègre, passe ta devise à ton frère, car jamais plus tu ne diras : hilariter[1].

Puis il descendit à son tour dans sa chambre, le front assombri comme s’il fût descendu dans quelque passe terrible, dans quelque abîme sanglant, et s’assit dans l’ombre, subjugué, lui, le dernier, mais le plus complètement peut-être, par l’incroyable influence de mélancolie qui rayonnait du centre de cette maison.

  1. Joyeusement, la devise de Henri de Joyeuse, nous l’avons déjà dit, était le mot latin hilariter.