Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/213

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Chicot savait qu’à moins d’être échauffé par deux ou trois bouteilles de vieux bourgogne, Gorenflot était avare de paroles. Or, comme selon toute probabilité, vu l’heure peu avancée de la journée, Gorenflot était encore à jeun, il prit un bon fauteuil et s’installa silencieusement au coin de la cheminée, en étendant ses pieds sur les chenets et en appuyant ses reins au dossier moelleux.

— Est-ce que vous déjeunerez avec moi, monsieur Briquet ? demanda dom Modeste.

— Peut-être, seigneur prieur.

— Il ne faudrait pas m’en vouloir, monsieur Briquet, s’il me devenait impossible de vous donner tout le temps que je voudrais.

— Eh ! qui diable vous demande votre temps, monsieur le prieur ? Ventre de biche ! je ne vous demandais pas même à déjeuner, et c’est vous qui me l’avez offert.

— Assurément, monsieur Briquet, fit dom Modeste avec une inquiétude que justifiait le ton assez ferme de Chicot ; oui, sans doute, je vous ai offert, mais…

— Mais vous avez cru que je n’accepterais pas ?

— Oh ! non. Est-ce que c’est mon habitude d’être politique, dites, monsieur Briquet ?

— On prend toutes les habitudes que l’on veut prendre, quand on est un homme de votre supériorité, monsieur le prieur, répondit Chicot avec un de ces sourires qui n’appartenaient qu’à lui.

Dom Modeste regarda Chicot en clignant des yeux.

Il lui était impossible de deviner si Chicot raillait ou parlait sérieusement.

Chicot s’était levé.

— Pourquoi vous levez-vous, monsieur Briquet ? demanda Gorenflot.

— Parce que je m’en vais.

— Et pourquoi vous en allez-vous, puisque vous aviez dit que vous déjeuneriez avec moi ?