Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

porc, je fais de tout cela une espèce de chair à saucisse que je jette à mes anguilles, qui, dans l’eau douce et renouvelée sur un gravier fin, deviennent grasses en un mois, et, tout en engraissant, allongent considérablement. Celle que j’offrirai au seigneur prieur aujourd’hui, par exemple, pèse neuf livres.

— C’est un serpent alors, dit Chicot.

— Elle avalait d’une bouchée un poulet de six jours.

— Et comment l’avez-vous accommodée ? demanda Chicot.

— Oui, comment l’avez-vous accommodée ? répéta le prieur.

— Dépouillée, rissolée, passée au beurre d’anchois, roulée dans une fine chapelure, puis remise sur le gril pendant dix secondes ; après quoi j’aurai l’honneur de vous la servir baignant dans une sauce épicée de piment et d’ail.

— Mais la sauce ?

— Oui, la sauce elle-même ?

— Simple sauce d’huile d’Aix, battue avec des citrons et de la moutarde.

— Parfait, dit Chicot.

Frère Eusèbe respira.

— Maintenant il manque les confiteries, fit observer judicieusement Gorenflot.

— J’inventerai quelque mets capable d’agréer au seigneur prieur.

— C’est bien, je m’en rapporte à vous, dit Gorenflot ; montrez-vous digne de ma confiance.

Eusèbe salua.

— Je puis donc me retirer ? demanda-t-il.

Le prieur consulta Chicot.

— Qu’il se retire, dit Chicot.

— Retirez-vous et envoyez-moi le frère sommelier.

Eusèbe salua et sortit.

Le frère sommelier succéda au frère Eusèbe et reçut des ordres non moins précis et non moins détaillés.