Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/76

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— Assez, certainement, pour savoir son nom, son âge ; à ta place…

— Anne, Anne, vous ne la connaissez pas.

— Non, mais je te connais. Comment, Henri, vous aviez cinquante mille écus que je vous ai donnés sur les cent mille dont le roi m’a fait cadeau à sa fête…

— Ils sont encore dans mon coffre, Anne : pas un ne manque.

— Mordieu ! tant pis ; s’ils n’étaient pas dans votre coffre, la femme serait dans votre alcôve.

— Oh ! mon frère.

— Il n’y a pas de : « oh ! mon frère ; » un serviteur ordinaire se vend pour dix écus, un bon pour cent, un excellent pour mille, un merveilleux pour trois mille. Voyons maintenant, supposons le phénix des serviteurs ; rêvons le dieu de la fidélité, et moyennant vingt mille écus, par le pape ! il sera à vous. Donc il vous restait cent trente mille livres pour payer le phénix des femmes livré par le phénix des serviteurs. Henri, mon ami, vous êtes un niais.

— Anne, dit Henri en soupirant, il est des gens qui ne se vendent pas ; il y a des cœurs qu’un roi même n’est pas assez riche pour acheter.

Joyeuse se calma.

— Eh bien ! je l’admets, dit-il ; mais il n’en est pas qui ne se donnent.

— À la bonne heure.

— Eh bien ! qu’avez-vous fait pour que le cœur de cette belle insensible se donnât à vous ?

— J’ai la conviction, Anne, d’avoir fait tout ce que je pouvais faire.

— Allons donc, comte du Bouchage, vous êtes fou ! Vous voyez une femme triste, enfermée, gémissante, et vous vous faites plus triste, plus reclus, plus gémissant, c’est-à-dire plus assommant qu’elle-même ! En vérité, vous parliez des façons vulgaires de l’amour, et vous êtes banal comme un