Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un mois avant le supplice de Salcède, à la suite de quelques exercices militaires qui avaient eu lieu dans le Pré-aux-Clercs, dame Fournichon et son époux étaient installés, selon leur habitude, chacun à une tourelle angulaire de leur établissement, oisifs, rêveurs et froids, parce que toutes les tables et toutes les chambres de l’hôtellerie du Fier Chevalier étaient complètement vides.

Ce jour-là le Rosier d’Amour n’avait pas donné de roses.

Ce jour-là, l’Épée du fier Chevalier avait frappé dans l’eau.

Les deux époux regardaient donc tristement la plaine d’où disparaissaient, s’embarquant dans le bac de la tour de Nesle pour retourner au Louvre, les soldats qu’un capitaine venait de faire manœuvrer, et tout en les regardant et en gémissant sur le despotisme militaire qui forçait de rentrer à leur corps de garde des soldats qui devaient naturellement être si altérés, ils virent ce capitaine mettre son cheval au trot et s’avancer, avec un seul homme d’ordonnance, dans la direction de la porte Bussy.

Cet officier tout emplumé, tout fier sur son cheval blanc, et dont l’épée au fourreau doré relevait un beau manteau de drap de Flandre, fut en dix minutes en face de l’hôtellerie.

Mais comme ce n’était pas à l’hôtellerie qu’il se rendait, il allait passer outre, sans avoir même admiré l’enseigne, car il paraissait soucieux et préoccupé, ce capitaine, quand maître Fournichon, dont le cœur défaillait à l’idée de ne pas étrenner ce jour-là, se pencha hors de sa tourelle en disant :

— Vois donc, femme, le beau cheval !

Ce à quoi madame Fournichon, saisissant la réplique en hôtelière accorte, ajouta :

— Et le beau cavalier donc !

Le capitaine, qui ne paraissait pas insensible aux éloges de quelque part qu’ils lui vinssent, leva la tête comme s’il