Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/100

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taille de Pavie. Tout est perdu, plus l’honneur ! Ah ! ah ! ah ! j’ai retrouvé la devise de la maison de France, moi !

Un morne silence accueillit ces rires déchirants comme s’ils eussent été des sanglots.

— Monseigneur, interrompit Henri, racontez-moi comment le dieu tutélaire de la France a sauvé Votre Altesse.

— Eh ! cher comte, c’est bien simple, le dieu tutélaire de la France était occupé à autre chose de plus important sans doute en ce moment, de sorte que je me suis sauvé tout seul.

— Et comment cela, Monseigneur ?

— Mais à toutes jambes.

Pas un sourire n’accueillit cette plaisanterie, que le duc eût certes punie de mort si elle eût été faite par un autre que par lui.

— Oui, oui, c’est bien le mot. Hein ! comme nous courions, continua-t-il, n’est-ce pas, mon brave Aurilly ?

— Chacun, dit Henri, connaît la froide bravoure et le génie militaire de Votre Altesse, nous la supplions donc de ne pas nous déchirer le cœur en se donnant des torts qu’elle n’a pas. Le meilleur général n’est pas invincible, et Annibal lui-même a été vaincu à Zama.

— Oui, répondit le duc, mais Annibal avait gagné les batailles de la Trébie, de Trasimène et de Cannes, tandis que moi je n’ai gagné que celle de Cateau-Cambrésis ; ce n’est point assez, en vérité, pour soutenir la comparaison.

— Mais Monseigneur plaisante lorsqu’il dit qu’il a fui ?

— Non, pardieu ! je ne plaisante pas ; d’ailleurs, trouves-tu qu’il y a là de quoi plaisanter, du Bouchage ?

— Pouvait-on faire autrement, monsieur le comte ? dit Aurilly, croyant qu’il était besoin qu’il vînt en aide à son maître.

— Tais-toi, Aurilly, dit le duc ; demande à l’ombre de Saint-Aignan si l’on pouvait ne pas fuir ?

Aurilly baissa la tête.

— Ah ! vous ne savez pas l’histoire de Saint-Aignan, vous autres, c’est vrai ; je vais vous la conter en trois grimaces.