Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/147

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Cet homme savait tout, et cependant cet homme n’a rien dit, rien demandé ; il n’est pas venu le lendemain, comme d’Épernon, fouiller dans toutes mes poches, en me disant : « Sire, pour avoir sauvé le roi ! »

— Oh ! quant à cela, il en était incapable ; d’ailleurs ses mains n’y entreraient pas, dans tes poches.

— Chicot, pas de plaisanteries sur dom Modeste, c’est un des plus grands hommes qui illustreront mon règne, et je te déclare qu’à la première occasion je lui fais donner un évêché.

— Et tu feras très-bien, mon roi.

— Remarque une chose, Chicot, dit le roi en prenant son air profond, lorsqu’ils sortent des rangs du peuple les gens d’élite sont complets ; nous autres gentilshommes, vois-tu, nous prenons dans notre sang certaines vertus et certains vices de race qui nous font des spécialités historiques. Ainsi, les Valois sont fins et subtils, braves, mais paresseux ; les Lorrains sont ambitieux et avares avec des idées, de l’intrigue, du mouvement ; les Bourbons sont sensuels et circonspects, mais sans idées, sans force, sans volonté ; vois plutôt Henri. Lorsque la nature, au contraire, pétrit de prime-saut un homme né de rien, elle n’emploie que sa plus fine argile ; ainsi ton Gorenflot est complet.

— Tu trouves ?

— Oui, savant, modeste, rusé, brave ; on fera de lui tout ce qu’on voudra, un ministre, un général d’armée, un pape.

— La ! la ! sire, arrêtez-vous, dit Chicot : si le brave homme vous entendait, il crèverait dans sa peau, car il est fort orgueilleux, quoi que tu en dises, le prieur dom Modeste.

— Tu es jaloux, Chicot !

— Moi ! Dieu m’en garde : la jalousie ! fi, la vilaine passion !

— Oh ! c’est que je suis juste, moi, la noblesse du sang ne m’aveugle point : stemmata quid faciunt ?