Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/155

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outre, tout en rebouclant sa cuirasse, il faisait sonner sur le parquet des éperons plus capables d’éventrer que d’éperonner un cheval.

— Oh ! je suis trahi ! s’écria Henri lorsqu’il eut achevé la lecture ; le Béarnais avait un plan, et je ne l’en ai pas soupçonné.

— Mon fils, répliqua Chicot, tu connais le proverbe : « Il n’est pire eau que l’eau qui dort. »

— Va-t’en au diable, avec tes proverbes !

Chicot s’avança vers la porte comme pour obéir.

— Non, reste.

Chicot s’arrêta.

— Cahors pris ! continua Henri.

— Et de la bonne façon même, dit Chicot.

— Mais il a donc des généraux, des ingénieurs ?

— Nenni, dit Chicot, le Béarnais est trop pauvre ; comment les payerait-il ? Non pas, il fait tout lui-même.

— Et… il se bat ? dit Henri avec une sorte de dédain.

— Te dire qu’il s’y met tout d’abord et d’enthousiasme, non, je n’oserais pas, non : il ressemble à ces gens qui tâtent l’eau avant de se baigner ; il se mouille le bout des doigts dans une petite sueur de mauvais augure, se prépare la poitrine avec quelques meâ culpâ, le front avec quelques réflexions philosophiques ; cela lui prend les dix premières minutes qui suivent le premier coup de canon, après quoi il donne une tête dans l’action, et nage dans le plomb fondu et dans le feu comme une salamandre.

— Diable ! fit Henri, diable !

— Et je t’assure, Henri, qu’il y faisait chaud, là-bas.

Le roi se leva précipitamment et arpenta la salle à grands pas.

— Voilà un échec pour moi ! s’écria-t-il en terminant tout haut sa pensée commencée tout bas, on en rira. Je serai chansonné. Ces coquins de Gascons sont caustiques, et je les entends déjà aiguisant leurs dents et leurs sourires sur