Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/56

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que l’on aime venaient, mêlés à la brise, lui caresser le visage.

Aussi continuait-il, les yeux fixés sur cette chaumière où elle était enfermée :

— Mais en attendant cette mort, et tandis qu’elle repose dans cette maison, je prends ces arbres pour abri, et je me plains, moi qui puis entendre sa voix si elle parle, moi qui puis apercevoir son ombre derrière la fenêtre ! Oh ! non, non, je ne me plains pas. Seigneur ! Seigneur ! je suis encore trop heureux !

Et Henri se coucha sous ces saules, dont les branches couvraient la maison, écoutant avec un sentiment de mélancolie impossible à décrire le murmure de l’eau qui coulait à ses côtés.

Tout à coup il tressaillit ; le bruit du canon retentissait du côté du nord et passait emporté par le vent.

— Ah ! se dit-il, j’arriverai trop tard, on attaque Anvers.

Le premier mouvement de Henri fut de se lever, de remonter à cheval et de courir, guidé par le bruit, là où l’on se battait ; mais pour cela il fallait quitter la dame inconnue et mourir dans le doute.

S’il ne l’avait point rencontrée sur sa route, Henri eût suivi son chemin, sans un regard en arrière, sans un soupir pour le passé, sans un regret pour l’avenir ; mais, en la rencontrant, le doute était entré dans son esprit, et avec le doute l’irrésolution. Il resta.

Pendant deux heures, il resta couché, prêtant l’oreille aux détonations successives qui arrivaient jusqu’à lui, se demandant quelles pouvaient être ces détonations irrégulières et plus fortes qui de temps en temps étaient venues couper les autres.

Il était loin de se douter que ces détonations étaient causées par les vaisseaux de son frère qui sautaient.

Enfin, vers deux heures, tout se calma ; vers deux heures et demie, tout se tut.