Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce que voyait le jeune homme, son cheval l’avait vu avant lui, car il n’avait pu le faire avancer dans cette direction qu’en lui déchirant le flanc avec ses éperons, et lorsqu’il fut arrivé au sommet de la colline, il se cabra à renverser son cavalier sous lui. Ce qu’ils voyaient, cheval et cavalier, c’était, à l’horizon, une bande blafarde, immense, infinie, pareille à un niveau, s’avançant sur la plaine, formant un cercle immense et marchant vers la mer.

Et cette bande s’élargissait pas à pas aux yeux de Henri comme une bande d’étoffe qu’on déroule.

Le jeune homme regardait encore indécis cet étrange phénomène, lorsqu’en ramenant sa vue sur la place qu’il venait de quitter, il s’aperçut que la prairie s’imprégnait d’eau, que la petite rivière débordait, et commençait de noyer, sous sa nappe soulevée sans cause visible, les roseaux qui, un quart d’heure auparavant, se hérissaient sur ses deux rives.

L’eau gagnait tout doucement du côté de la maison.

— Malheureux insensé que je suis ! s’écria Henri, je n’avais pas deviné : c’est l’eau ! c’est l’eau ! les Flamands ont rompu leurs digues.

Henri s’élança aussitôt du côté de la maison, et heurta furieusement à la porte.

— Ouvrez ! ouvrez ! cria-t-il.

Nul ne répondit.

— Ouvrez, Remy, cria le jeune homme, furieux à force de terreur, ouvrez, c’est moi, Henri du Bouchage, ouvrez !

— Oh ! vous n’avez pas besoin de vous nommer, monsieur le comte, répondit Remy de l’intérieur de la maison, et il y a longtemps que je vous ai reconnu ; mais je vous préviens d’une chose, c’est que si vous enfoncez cette porte, vous me trouverez derrière elle, un pistolet à chaque main.

— Mais tu ne comprends donc pas, malheureux ! cria Henri avec un accent désespéré : l’eau, l’eau, c’est l’eau !…

— Pas de fable, pas de prétextes, pas de ruses déshono-