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Remy s’avança sur le point de la colline qui se prolongeait du côté de ces feux, et il revint dire qu’il croyait qu’à mille pas à peu près de l’endroit où l’on avait pris terre, commençait une espèce de jetée qui s’avançait en droite ligne vers les feux.

Ce qui faisait croire à Remy à une jetée, ou tout au moins à un chemin, c’était une double ligne d’arbres, directe et régulière.

Henri fit à son tour ses observations, qui se trouvèrent concorder avec celles de Remy ; mais cependant il fallait, dans cette circonstance, donner beaucoup au hasard.

L’eau, entraînée sur la déclivité de la plaine, les avait rejetés à gauche de leur route en leur faisant décrire un angle considérable ; cette dérivation, ajoutée à la course insensée des chevaux, leur ôtait tout moyen de s’orienter.

Il est vrai que le jour venait, mais nuageux et tout chargé de brouillard ; dans un temps clair, et sous un ciel pur, on eût aperçu le clocher de Malines, dont on ne devait être éloigné que de deux lieues à peu près.

— Eh bien ! monsieur le comte, demanda Remy, que pensez-vous de ces feux ?

— Ces feux, qui semblent vous annoncer, à vous, un abri hospitalier, me semblent menaçants, à moi, et je m’en défie.

— Et pourquoi cela ?

— Remy, dit Henri en baissant la voix, voyez tous ces cadavres : tous sont français, pas un flamand ; ils nous annoncent un grand désastre : les digues ont été rompues pour achever de détruire l’armée française, si elle a été vaincue ; pour détruire l’effet de sa victoire, si elle a triomphé. Pourquoi ces feux ne seraient-ils pas aussi bien allumés par des ennemis que par des amis, ou pourquoi ne seraient-ils pas tout simplement une ruse ayant pour but d’attirer les fugitifs ?

— Cependant, dit Remy, nous ne pouvons demeurer ici ; le froid et la faim tueraient ma maîtresse.