Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/69

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— Vous avez raison, Remy, dit le comte : demeurez ici avec Madame ; moi, je vais gagner la jetée, et je viendrai vous rapporter des nouvelles.

— Non, Monsieur, dit la dame, vous ne vous exposerez pas seul : nous nous sommes sauvés tous ensemble, nous mourrons tous ensemble. Remy, votre bras, je suis prête.

Chacune des paroles de cette étrange créature avait un accent irrésistible d’autorité, auquel personne n’avait l’idée de résister un seul instant.

Henri s’inclina et marcha le premier.

L’inondation était plus calme, la jetée, qui venait aboutir à la colline, formait une espèce d’anse où l’eau s’endormait. Tous trois montèrent dans le petit bateau, et le bateau fut lancé de nouveau au milieu des débris et des cadavres flottants. Un quart d’heure après ils abordaient à la jetée.

Ils assurèrent la chaîne du bateau au pied d’un arbre, prirent terre de nouveau, suivirent la jetée pendant une heure à peu près, et arrivèrent à un groupe de cabanes flamandes au milieu duquel, sur une place plantée de tilleuls, étaient réunis, autour d’un grand feu, deux ou trois cents soldats au-dessus desquels flottaient les plis d’une bannière française.

Tout à coup la sentinelle, placée à cent pas à peu près du bivouac, aviva la mèche de son mousquet en criant :

— Qui vive ?

— France, répondit du Bouchage.

Puis se retournant vers Diane :

— Maintenant, Madame, dit-il, vous êtes sauvée ; je reconnais le guidon des gendarmes d’Aunis, corps de noblesse dans lequel j’ai des amis.

Au cri de la sentinelle et à la réponse du comte, quelques gendarmes accoururent en effet au-devant des nouveaux venus, deux fois bien accueillis au milieu de ce désastre terrible, d’abord parce qu’ils survivaient au désastre, ensuite parce qu’ils étaient des compatriotes.