Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/99

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les Romains, car nous avons conservé notre Paul Émile.

— Sur mon âme, Messieurs, reprit le duc, le Paul Émile d’Anvers, c’est Joyeuse, et sans doute, pour pousser la ressemblance jusqu’au bout avec son héroïque modèle, ton frère est mort, n’est-ce pas, du Bouchage ?

Henri se sentit le cœur déchiré par cette froide question.

— Non, Monseigneur, répondit-il, il vit.

— Ah ! tant mieux, dit le duc avec son sourire glacé ; quoi ! notre brave Joyeuse a survécu ! Où est-il, que je l’embrasse ?

— Il n’est point ici, Monseigneur.

— Ah ! oui, blessé ?

— Non, Monseigneur, sain et sauf.

— Mais fugitif comme moi, errant, affamé, honteux et pauvre guerrier, hélas ! Le proverbe a bien raison : Pour la gloire l’épée, après l’épée le sang, après le sang les larmes.

— Monseigneur, j’ignorais le proverbe, et je suis heureux, malgré le proverbe, d’apprendre à Votre Altesse que mon frère a eu le bonheur de sauver trois mille hommes, avec lesquels il occupe un gros bourg à sept lieues d’ici, et, tel que me voit Son Altesse, je marche comme éclaireur de son armée.

Le duc pâlit.

— Trois mille hommes ! dit-il, et c’est Joyeuse qui a sauvé ces trois mille hommes ? Sais-tu que c’est un Xénophon, ton frère ! Il est pardieu fort heureux que mon frère, à moi, m’ait envoyé le tien, sans quoi je revenais tout seul en France. Vive Joyeuse, pardieu ! foin de la maison de Valois ; ce n’est pas elle, ma foi, qui peut prendre pour sa devise : Hilariter.

— Monseigneur ! oh ! Monseigneur ! murmura du Bouchage suffoqué de douleur, en voyant que cette hilarité du prince cachait une sombre et douloureuse jalousie.

— Non, sur mon âme, je dis vrai, n’est-ce pas, Aurilly ? Nous revenons en France pareils à François Ier après la ba-