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— Mais comment ? dites-le-moi au moins.

— Mon mari a été remis en liberté il y a deux ou trois jours ; je n’ai pas encore eu le temps de le revoir. C’est un brave et honnête homme qui n’a ni haine, ni amour pour personne. Il fera ce que je voudrai : il partira sur un ordre de moi, sans savoir ce qu’il porte, et il remettra la lettre de Votre Majesté, sans même savoir qu’elle est de Votre Majesté, à l’adresse qu’elle indiquera.

La reine prit les deux mains de la jeune femme avec un élan passionné, la regarda comme pour lire au fond de son cœur, et ne voyant que sincérité dans ses beaux yeux, elle l’embrassa tendrement.

— Fais cela, s’écria-t-elle, et tu m’auras sauvé la vie, tu m’auras sauvé l’honneur !

— Oh ! n’exagérez pas le service que j’ai le bonheur de vous rendre ; je n’ai rien à sauver à Votre Majesté, qui est seulement victime de perfides complots.

— C’est vrai, c’est vrai, mon enfant, dit la reine, et tu as raison.

— Donnez-moi donc cette lettre, madame, le temps presse.

La reine courut à une petite table sur laquelle se trouvaient encre, papier et plumes : elle écrivit deux lignes, cacheta la lettre de son cachet et la remit à Mme Bonacieux.

— Et maintenant, dit la reine, nous oublions une chose nécessaire.

— Laquelle ?

— L’argent.

Mme Bonacieux sourit.

— Oui, c’est vrai, dit-elle, et j’avouerai à Votre Majesté que mon mari…

— Ton mari n’en a pas, c’est cela que tu veux dire.

— Si fait, il en a, mais il est fort avare, c’est là son défaut. Cependant, que Votre Majesté ne s’inquiète pas, nous trouverons moyen.

— C’est que je n’en ai pas non plus, dit la reine. — Ceux qui liront les Mémoires de Mme de Motteville ne s’étonneront pas de cette réponse. — Mais, attends.

Anne d’Autriche courut à son écrin.

— Tiens, dit-elle, voici une bague d’un grand prix, à ce qu’on assure ; elle vient de mon frère le roi d’Espagne ; elle est à moi et j’en peux disposer. Prends cette bague et fais-en de l’argent, et que ton mari parte.

— Dans une heure vous serez obéie.

— Tu vois l’adresse, ajouta la reine, parlant si bas qu’à peine pouvait-on entendre ce qu’elle disait : À milord duc de Buckingham, à Londres.

— La lettre sera remise à lui-même.

— Généreuse enfant, s’écria Anne d’Autriche.

Mme Bonacieux baisa les mains de la reine, cacha le papier dans son corsage et disparut avec la légèreté d’un oiseau.

Dix minutes après, elle était chez elle, comme elle l’avait dit à la reine ; elle n’avait pas revu son mari depuis sa mise en liberté ; elle ignorait donc le changement qui s’était fait en lui à l’endroit du cardinal, changement qu’avaient opéré la flatterie et l’argent de Son Éminence et qu’avaient corroboré depuis, deux ou trois visites du comte de Rochefort, devenu le meilleur ami de Bonacieux, auquel il avait fait croire, sans beaucoup de peine, qu’aucun sentiment coupable n’avait