Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nul bruit ne se faisait entendre, on eût dit qu’on était à cent lieues de la capitale. D’Artagnan s’adossa à la haie après avoir jeté un coup d’œil derrière lui. Par-delà cette haie, ce jardin et cette cabane, un brouillard sombre enveloppait de ses plis cette immensité où dort Paris, vide béant, océan de vapeurs où brillaient quelques points lumineux, étoiles funèbres de cet enfer.

Mais pour d’Artagnan tous les aspects revêtaient une forme heureuse ; toutes les idées avaient un sourire ; toutes les ténèbres étaient diaphanes. L’heure du rendez-vous allait sonner.

En effet, au bout de quelques instants, le beffroi de Saint-Cloud laissa lentement tomber dix coups de sa large gueule mugissante.

Il y avait quelque chose de lugubre à cette voix de bronze qui se lamentait ainsi au milieu de la nuit. Mais chacune de ces heures qui composaient l’heure attendue vibrait si harmonieusement au cœur du jeune homme. Ses yeux étaient fixés sur le petit pavillon situé à l’angle de la rue et dont toutes les fenêtres étaient fermées par des volets, excepté une seule du premier étage.

À travers cette fenêtre brillait une lumière douce qui argentait le feuillage tremblant de deux ou trois tilleuls qui s’élevaient formant groupe en dehors du parc. Évidemment derrière cette petite fenêtre si gracieusement éclairée, la jolie Mme  Bonacieux l’attendait.

Bercé par cette douce idée, d’Artagnan attendit de son côté une demi-heure sans impatience aucune, les yeux fixés sur ce charmant petit séjour, dont il apercevait une partie du plafond aux moulures dorées, attestant l’élégance du reste de l’appartement.

Le beffroi de Saint-Cloud sonna dix heures et demie.

Cette fois-ci, sans que d’Artagnan comprît pourquoi, un frisson courut dans ses veines. Peut-être aussi le froid commençait-il à le gagner et prenait-il pour une impression morale une sensation tout à fait physique.

Puis l’idée lui revint qu’il avait mal lu et que le rendez-vous était pour onze heures seulement.

Il s’approcha de la fenêtre, se plaça dans un rayon de lumière, tira sa lettre de sa poche et la relut ; il ne s’était point trompé : le rendez-vous était bien pour dix heures.

Il alla reprendre son poste, commençant à être assez inquiet de ce silence et de cette solitude.

Onze heures sonnèrent.

D’Artagnan commença à craindre véritablement qu’il ne fût arrivé quelque chose à Mme  Bonacieux.

Il frappa trois coups dans ses mains, signal ordinaire des amoureux, mais personne ne lui répondit, pas même l’écho.

Alors il pensa avec un certain dépit que peut-être la jeune femme s’était endormie en l’attendant.

Il s’approcha du mur et essaya d’y monter ; mais le mur était nouvellement crépi, et d’Artagnan se retourna inutilement les ongles.

En ce moment il avisa les arbres, dont la lumière continuait d’argenter les feuilles, et comme l’un d’eux faisait saillie sur le chemin, il pensa que du milieu de ses branches, son regard pourrait pénétrer dans le pavillon.