Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ce qui veut dire, reprit Aramis pour lui donner toute facilité : Les deux mains sont indispensables aux prêtres des ordres inférieurs, quand ils donnent la bénédiction.

— Admirable sujet ! s’écria le jésuite.

— Admirable et dogmatique ! répéta le curé qui, de la force de d’Artagnan à peu près sur le latin, surveillait soigneusement le jésuite pour emboîter le pas avec lui et répéter ses paroles comme un écho.

Quant à d’Artagnan, il demeura parfaitement indifférent à l’enthousiasme des deux hommes noirs.

« Oui, admirable ! prorsus admirabile ! continua Aramis, mais qui exige une étude approfondie des Pères et des Écritures. Or, j’ai avoué à ces savants ecclésiastiques, et cela en toute humilité, que les veilles des corps de garde et le service du roi m’avaient un peu fait négliger l’étude. Je me trouverais donc plus à mon aise, facilius natans, dans un sujet de mon choix, qui serait à ces rudes questions théologiques ce que la morale est à la métaphysique en philosophie.

D’Artagnan s’ennuyait profondément ; le curé aussi.

— Voyez quel exorde ! s’écria le jésuite.

Exordium, répéta le curé pour dire quelque chose.

Quemadmodum inter colorum immensitatem. »

Aramis jeta un coup d’œil de côté sur d’Artagnan, et il vit que son ami bâillait à se démonter la mâchoire.

— Parlons français, mon père, dit-il au jésuite, M. d’Artagnan goûtera plus vivement nos paroles.

— Oui, je suis fatigué de la route, dit d’Artagnan, et tout ce latin m’échappe.

— D’accord, dit le jésuite un peu dépité, tandis que le curé, transporté d’aise, tournait sur d’Artagnan un regard plein de reconnaissance ; eh bien ! voyez le parti qu’on tirerait de cette glose :

« Moïse, serviteur de Dieu… il n’est que serviteur, entendez-vous bien ? Moïse bénit avec les mains ; il se fait tenir les deux bras, tandis que les Hébreux battent leurs ennemis ; donc il bénit avec les deux mains. D’ailleurs, que dit l’Évangile ? Imponite manus, et non pas manum ; imposez les mains et non pas la main.

— Imposez les mains, répéta le curé en faisant le geste.

— À saint Pierre, au contraire, de qui les papes sont successeurs, continua le jésuite : Porrige digitos, présentez les doigts ; y êtes-vous maintenant ?

— Certes, répondit Aramis en se délectant, mais la chose est subtile.

— Les doigts, reprit le jésuite ; saint Pierre bénit avec les doigts. Le pape bénit donc aussi avec les doigts. Et avec combien de doigts bénit-il ? Avec trois doigts, un pour le Père, un pour le Fils, et un pour le Saint-Esprit.

Tout le monde se signa, d’Artagnan crut devoir imiter cet exemple.

— Le pape est successeur de saint Pierre et représente les trois pouvoirs divins ; le reste, ordines inferiores de la hiérarchie ecclésiastique, bénit par le nom des saints archanges et des anges. Les plus humbles clercs, tels que nos diacres et sacristains, bénissent avec les goupillons, qui simulent un nombre indéfini de doigts bénissants. Voilà le sujet simplifié, Argumentum omni denudatum ornamento. Je ferais avec cela, continua le jésuite, deux volumes de la taille de celui-ci.