Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Eh bien ! maintenant, voulez-vous que je vous dise une chose ? reprit froidement Athos.

— Laquelle ? demanda l’Anglais.

— C’est que vous auriez aussi bien fait de ne pas exiger que je me fisse connaître.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’on me croit mort, que j’ai des raisons pour désirer qu’on ne sache pas que je vis, et que je vais être obligé de vous tuer pour que mon secret ne coure pas les champs.

L’Anglais regarda Athos, croyant que celui-ci plaisantait ; mais Athos ne plaisantait pas le moins du monde.

— Messieurs, dit-il en s’adressant à la fois à ses compagnons et à leurs adversaires, y sommes-nous ?

— Oui, répondirent tout d’une voix Anglais et Français.

— Alors, en garde ! dit Athos.

Et aussitôt huit épées brillèrent aux rayons du soleil couchant, et le combat commença avec un acharnement bien naturel entre gens deux fois ennemis.

Athos s’escrimait avec autant de calme et de méthode que s’il eût été dans une salle d’armes.

Porthos, corrigé sans doute de sa trop grande confiance par son aventure de Chantilly, jouait un jeu plein de finesse et de prudence.

Aramis, qui avait le troisième chant de son poème à finir, se dépêchait en homme très pressé.

Athos le premier tua son adversaire. Il ne lui avait porté qu’un coup, mais, comme il l’en avait prévenu, le coup avait été mortel, l’épée lui traversa le cœur.

Porthos le second étendit le sien sur l’herbe : il lui avait percé la cuisse. Alors, comme l’Anglais, sans faire plus longue résistance, lui avait rendu son épée, Porthos le prit dans ses bras et le porta dans son carrosse.

Aramis poussa le sien si vigoureusement, qu’après avoir rompu une cinquantaine de pas, il finit par le mettre hors de combat.

Quant à d’Artagnan, il avait joué purement et simplement un jeu défensif ; puis, lorsqu’il avait vu son adversaire bien fatigué, il lui avait, d’une vigoureuse flanconade, fait sauter son épée. Le baron se voyant désarmé fit deux ou trois pas en arrière, mais dans ce mouvement son pied glissa, et il tomba à la renverse.

D’Artagnan fut sur lui d’un seul bond, et lui portant l’épée à la gorge :

— Je pourrais vous tuer, monsieur, dit-il à l’Anglais, et vous êtes bien entre mes mains ; mais je vous donne la vie pour l’amour de votre sœur.

D’Artagnan était au comble de la joie ; il venait de réaliser le plan qu’il avait arrêté d’avance et dont le développement avait fait éclore sur son visage les sourires dont nous avons parlé.

L’Anglais, enchanté d’avoir affaire à un gentilhomme d’aussi bonne composition, serra d’Artagnan entre ses bras, fit mille caresses aux trois mousquetaires, et, comme l’adversaire de Porthos était déjà installé dans la voiture et que celui d’Aramis avait pris la poudre d’escampette, on ne songea plus qu’au défunt.