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Comme Porthos et Aramis le déshabillaient dans l’espérance que sa blessure n’était pas mortelle, une grosse bourse s’échappa de sa ceinture. D’Artagnan la ramassa et la tendit à lord de Winter.

— Eh ! que diable voulez-vous que je fasse de cela ? demanda l’Anglais.

— Vous la rendrez à sa famille, dit d’Artagnan.

— Sa famille se soucie bien de cette misère ! elle hérite de quinze mille louis de rente. Gardez cette bourse pour vos laquais… Et maintenant, mon jeune ami, car vous me permettrez, je l’espère, de vous donner ce nom, continua lord de Winter, dès ce soir, si vous le voulez bien, je vous présenterai à ma belle-sœur, lady Clarick de Winter, car je veux qu’elle vous prenne à son tour dans ses bonnes grâces, et comme elle n’est pas tout-à-fait mal en cour, peut-être dans l’avenir un mot dit par elle ne vous sera-t-il point inutile.

D’Artagnan rougit de plaisir et s’inclina en signe d’assentiment.

Pendant ce temps Athos s’était approché de d’Artagnan, et lui prenant la bourse :

— Donnons cela, lui dit-il à demi-voix, non à nos laquais mais aux anglais.

Puis, la jetant dans la main du cocher :

— Pour vous et vos camarades, cria-t-il.

Cette grandeur de manières, dans un homme entièrement dénué, frappa Porthos lui-même, et cette générosité française, redite par lord de Winter et son ami, eut partout un grand succès, excepté auprès de MM. Grimaud, Mousqueton, Planchet et Bazin.

Lord de Winter, en quittant d’Artagnan, lui donna l’adresse de sa sœur ; elle demeurait à la place Royale, qui était alors le quartier à la mode, au no 6. D’ailleurs, il s’engageait à le venir prendre pour le présenter. D’Artagnan lui donna rendez-vous à huit heures chez Athos.

Cette présentation à milady occupait fort la tête de notre Gascon. Il se rappelait de quelle façon étrange cette femme avait été mêlée jusque là dans sa destinée. Selon sa conviction, c’était quelque créature du cardinal, et cependant il se sentait invinciblement entraîné vers elle par un de ces sentiments dont on ne se rend pas compte. Sa seule crainte était que milady ne reconnût en lui l’homme de Meung et de Douvres. Car alors elle saurait qu’il était des amis de M. de Tréville, et par conséquent qu’il appartenait corps et âme au roi, ce qui, dès lors, lui ferait perdre une partie de ses avantages, puisque, connu de milady comme il la connaissait, il jouerait avec elle à jeu égal. Quant à ce commencement d’intrigue entre elle et le comte de Wardes, notre présomptueux ne s’en préoccupait que médiocrement, bien que le marquis fût jeune, beau, riche et fort avant dans la faveur du cardinal. Ce n’est pas pour rien que l’on a vingt ans et surtout que l’on est né à Tarbes.

D’Artagnan commença par aller faire chez lui une toilette flamboyante ; ensuite il revint chez Athos, et, selon son habitude, lui raconta tout. Athos écouta ses projets, puis il secoua la tête, et lui recommanda la prudence avec une sorte d’amertume.

— Quoi ! lui dit-il, vous venez de perdre une femme que vous disiez bonne, charmante, parfaite, et voilà que vous courez déjà après une autre ?