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Mais aux premiers mots qu’il dit, la jeune femme tressaillit et s’éloigna.

— Auriez-vous peur, cher d’Artagnan ? dit-elle d’une voix aiguë et railleuse qui résonna étrangement dans l’obscurité.

— Vous ne le pensez pas, chère âme ! répondit d’Artagnan ; mais enfin, si ce pauvre comte de Wardes était moins coupable que vous ne le croyez ?

— En tout cas, dit gravement milady, il m’a trompée, et du moment qu’il m’a trompée il a mérité la mort.

— Il mourra donc, puisque vous le condamnez, dit d’Artagnan d’un ton si ferme, qu’il parut à milady l’expression d’un dévoûment à toute épreuve.

Aussitôt elle se rapprocha de lui.

Nous ne pourrions dire le temps que dura la nuit pour milady ; mais d’Artagnan croyait être près d’elle depuis deux heures à peine lorsque le jour parut aux fentes des jalousies et bientôt envahit la chambre de sa lueur blafarde. Alors milady, voyant que d’Artagnan allait la quitter, lui rappela la promesse qu’il lui avait faite de la venger de de Wardes.

— Je suis tout prêt, dit d’Artagnan ; mais auparavant je voudrais être certain d’une chose.

— De laquelle ? demanda milady.

— C’est que vous m’aimez.

— Je vous en ai donné la preuve, ce me semble, répondit-elle.

— Oui ; aussi je suis à vous corps et âme. Disposez de mon bras !

— Merci, mon brave défenseur ; mais de même que je vous ai prouvé mon amour, vous me prouverez le vôtre à votre tour, n’est-ce pas ?

— Certainement. Mais si vous m’aimez comme vous me le dites, reprit d’Artagnan, ne craignez-vous pas un peu pour moi ?

— Que puis-je craindre ?

— Mais enfin, que je sois blessé dangereusement, tué même.

— Impossible, dit milady, vous êtes un homme si vaillant et une si fine épée !

— Vous ne préféreriez donc point, reprit d’Artagnan, un moyen qui vous vengerait de même, tout en rendant inutile le combat ?

Milady regarda son amant en silence : cette lueur blafarde des premiers rayons du jour donnait à ses yeux clairs une expression étrangement funeste.

— Vraiment, dit-elle, je crois que voilà que vous hésitez maintenant !

— Non, je n’hésite pas, mais c’est que ce pauvre comte de Wardes me fait vraiment peine depuis que vous ne l’aimez plus, et il me semble qu’un homme doit être si cruellement puni par la perte seule de votre amour, qu’il n’a pas besoin d’autre châtiment :

— Qui vous dit que je l’aie aimé ? demanda milady.

— Au moins puis-je croire maintenant sans trop de fatuité que vous en aimez un autre, dit le jeune homme d’un ton caressant, et, je vous le répète, je m’intéresse au comte.

— Vous ? demanda milady.

— Oui, moi.

— Et pourquoi vous ?

— Parce que seul je sais…