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tremper une seconde fois mon épée dans le sang d’un misérable comme toi, je te jure, sur ma foi d’honnête homme…

Et à ces mots d’Artagnan fit un geste si menaçant que le blessé se releva.

— Arrêtez, arrêtez ! s’écria-t-il, reprenant courage à force de terreur, j’irai… j’irai…

D’Artagnan prit l’arquebuse du soldat, le fit passer devant lui et le poussa vers son compagnon en lui piquant les reins de la pointe de son épée. C’était une chose affreuse que de voir ce malheureux, laissant sur le chemin qu’il parcourait une longue trace de sang, pâle de sa mort prochaine, essayant de se traîner sans être vu jusqu’au corps de son complice, qui gisait à vingt pas de là.

La terreur était tellement peinte sur son visage, couvert d’une froide sueur, que d’Artagnan en eut pitié et le regarda avec mépris.

— Eh bien ! lui dit-il, je vais te montrer la différence qu’il y a entre un homme de cœur et un lâche comme toi ! Reste ; j’irai !

Et d’un pas agile, l’œil au guet, observant les mouvements de l’ennemi, s’aidant de tous les accidents de terrain, d’Artagnan parvint jusqu’au second soldat.

Il y avait deux moyens d’arriver à son but : le fouiller sur place ou l’emporter en se faisant un bouclier de son corps et le fouiller dans la tranchée.

D’Artagnan préféra le second moyen et chargea l’assassin sur ses épaules au moment même où l’ennemi faisait feu.

Une légère secousse, un dernier cri, un frémissement d’agonie prouvèrent à d’Artagnan que celui qui avait voulu l’assassiner venait de lui sauver la vie.

D’Artagnan regagna la tranchée et jeta le cadavre auprès du blessé, aussi pâle que le mort.

Aussitôt il commença l’inventaire : un portefeuille de cuir, une bourse où se trouvait évidemment une partie de la somme que le bandit avait reçue, un cornet et des dés formaient l’héritage du mort.

Il laissa le cornet et les dés où ils étaient tombés, jeta la bourse au blessé et ouvrit avidement le portefeuille.

Au milieu de quelques papiers sans importance il trouva la lettre suivante ; c’était celle qu’il avait été chercher au risque de sa vie.

« Puisque vous avez perdu la trace de cette femme et qu’elle est maintenant en sûreté dans ce couvent où vous n’auriez jamais dû la laisser arriver, tâchez au moins de ne pas manquer l’homme, sinon, vous savez que j’ai la main longue et que vous paierez cher les cent louis que vous avez à moi. »

Pas de signature. Néanmoins il était évident que la lettre venait de milady. En conséquence il la garda comme pièce de conviction, et se trouvant en sûreté derrière l’angle de la tranchée, il se mit à interroger le blessé. Celui-ci confessa qu’il s’était chargé avec son camarade, le même qui venait d’être tué, d’enlever une jeune femme qui devait sortir de Paris par la barrière de La Villette, mais que, s’étant arrêtés à boire dans un cabaret, ils avaient manqué la voiture de dix minutes.

— Mais qu’eussiez-vous fait de cette femme ? demanda d’Artagnan avec angoisse.

— Nous devions la remettre dans un hôtel de la place Royale, dit le blessé.

— Oui, oui, murmura d’Artagnan, c’est bien cela : chez milady elle-même.