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possède la langue allemande, avait pris l’habitude de jurer en français.

— Mais il est probable, dit le chevau-léger, qu’ils vont ce matin envoyer des pionniers pour remettre le bastion en état.

— Oui, c’est probable, dit d’Artagnan.

— Messieurs, dit Athos, un pari.

— Ah ! foui, un bari, dit le Suisse.

— Lequel ? demanda le chevau-léger.

— Attendez, dit le dragon en posant son sabre comme une broche sur les deux grands chenets de fer qui soutenaient le feu de la cheminée, j’en suis. Hôtelier de malheur, une léchefrite tout de suite, que je ne perde pas une goutte de la graisse de cette estimable volaille.

— Il avre raison, dit le Suisse, la graisse t’oie il est très ponne avec des gonfitures.

— Là, dit le dragon. Maintenant, voyons le pari. Nous écoutons, M. Athos.

— Oui, le pari, dit le chevau-léger.

— Eh bien, M. de Busigny, je parie avec vous, dit Athos, que mes trois compagnons, MM. Porthos, Aramis, d’Artagnan et moi, nous allons déjeuner dans le bastion Saint-Gervais et que nous y tenons une heure montre à la main, quelque chose que fasse l’ennemi pour nous déloger.

Porthos et Aramis se regardèrent ; ils commençaient à comprendre.

— Mais, dit d’Artagnan en se penchant à l’oreille d’Athos, tu vas nous faire tuer sans miséricorde.

— Nous sommes bien plus tués, répondit Athos, si nous n’y allons pas.

— Ah ! ma foi, messieurs, dit Porthos, en se renversant sur sa chaise et frisant sa moustache, voici un beau pari, j’espère.

— Aussi je l’accepte, dit M. de Busigny ; maintenant il s’agit de fixer l’enjeu.

— Mais vous êtes quatre, messieurs, dit Athos, nous sommes quatre ; un dîner à discrétion pour huit, cela vous va-t-il ?

— À merveille, reprit M. de Busigny.

— Parfaitement, dit le dragon.

— Ça me fa, dit le Suisse.

Quant au quatrième auditeur, qui dans toute cette conversation avait joué un rôle muet, il fit un signe de la tête en signe qu’il acquiesçait à la proposition.

— Le déjeuner de ces messieurs est prêt, dit l’hôte.

— Eh bien ! apportez-le, dit Athos.

L’hôte obéit ; Athos appela Grimaud, lui montra un grand panier qui gisait dans un coin, et fit le geste d’envelopper dans les serviettes les viandes apportées.

Grimaud comprit à l’instant même qu’il s’agissait d’un déjeuner sur l’herbe ; il s’empara du panier, empaqueta les viandes, y joignit les bouteilles et prit le panier à son bras.

— Mais où allez-vous manger mon déjeuner ? dit l’hôte.

— Que vous importe, dit Athos, pourvu qu’on vous le paie.

Et il jeta majestueusement deux pistoles sur la table.

— Faut-il vous rendre, mon officier ? dit l’hôte.