D’Artagnan s’arrêta, comme s’il cherchait le mot, en regardant Athos.
— Chassée par son mari, » dit Athos.
— « Parce qu’elle avait été marquée, » continua d’Artagnan.
— Bah ! s’écria Porthos, impossible ! elle a voulu faire tuer son beau-frère ?
— Oui.
— Elle était mariée ? demanda Aramis.
— Oui.
— Et son mari s’est aperçu qu’elle avait une fleur de lys sur l’épaule ? s’écria Porthos.
— Oui.
Ces trois oui avaient été dits par Athos, chacun avec une intonation plus sombre.
— Et qui l’a vue cette fleur de lys ? demanda Aramis.
— D’Artagnan et moi, ou plutôt pour observer l’ordre chronologique, moi et d’Artagnan, répondit Athos.
— Et le mari de cette affreuse créature vit encore ? dit Aramis.
— Il vit encore.
— Vous en êtes sûr ?
— J’en suis sûr.
Il y eut un instant de froid silence, pendant lequel chacun se sentit impressionné selon sa nature.
— Cette fois, reprit Athos, interrompant le premier le silence, d’Artagnan nous a donné un excellent programme, et c’est cela qu’il faut écrire d’abord.
— Diable ! vous avez raison, Athos, reprit Aramis, et la rédaction est épineuse. M. le chancelier lui-même serait embarrassé pour rédiger une épître de cette force, et cependant M. le chancelier rédige très agréablement un procès-verbal. N’importe ! taisez-vous, j’écris.
Aramis prit la plume, réfléchit quelques instants, se mit à écrire huit ou dix lignes d’une charmante petite écriture de femme, puis, d’une voix douce et lente, comme si chaque mot eût été scrupuleusement pesé, il lut ce qui suit :
« La personne qui vous écrit ces quelques lignes a eu l’honneur de croiser l’épée avec vous dans un petit enclos de la rue d’Enfer. Comme vous avez bien voulu, depuis, vous dire plusieurs fois l’ami de cette personne, elle vous doit de reconnaître cette amitié par un bon avis. Deux fois vous avez failli être victime d’une proche parente que vous croyez votre héritière, parce que vous ignorez qu’avant de contracter mariage en Angleterre, elle était déjà mariée en France ; mais la troisième fois, qui est celle-ci, vous pouvez y succomber. Votre parente est partie de La Rochelle pour l’Angleterre. Surveillez son arrivée, car elle a de grands et terribles projets. Si vous tenez absolument à savoir ce dont elle est capable, lisez son passé sur son épaule gauche. »
— Eh bien ! voilà qui est à merveille, dit Athos, et vous avez une plume de secrétaire d’État, mon cher Aramis. De Winter fera bonne garde maintenant, si toutefois l’avis lui arrive, et tombât-il aux mains de Son Éminence elle-même, nous ne saurions être compromis ; mais comme le valet qui partira pourrait nous faire accroire qu’il a été à Londres et s’arrêter à Châtelleraut, ne lui donnons